Mobilisation inégale pour cette nouvelle journée de manifestation, jeudi, contre la loi travail, deux jours après l'annonce par le Premier ministre, Manuel Valls, du recours au 49.3 pour faire passer le texte contesté du gouvernement. Alors que les cortèges étaient maigrelets, le matin, en régions, le rassemblement parisien a réuni, l'après-midi, près de 12 000 personnes, entre Denfert-Rochereau et Invalides, sous la pluie et les lacrymos.
En tête de cortège, avant que la manif ne s'ébranle, le patron de FO, Jean-Claude Mailly, peste devant les journalistes contre l'utilisation du 49.3: «C'est un oukase constitutionnel, un aveu de faiblesse de la part du Premier ministre qui n'a plus de majorité à l'Assemblée». Et d'ajouter, furieux: «La Ve République est morte!» A ses côtés, Eric Beynel, porte-parole de Solidaires, n'est pas moins remonté: «Ce texte est rejeté massivement par les organisations syndicales, et visiblement par la majorité de gauche à l'Assemblée. Et pourtant, Valls profite du 49.3 pour supprimer la mesure qui imposait la taxation des CDD.» Point le plus contesté dans le projet de loi dernière version, selon lui: «L'inversion de la hiérarchie des normes [où un accord d'entreprise peut déroger à un accord de branche, ndlr], qui va instituer un Code du travail à la carte et une concurrence sociale entre les boîtes d'un même territoire.» Egalement présents dans le carré de tête, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, Bernadette Groison, de la FSU, et William Martinet, président de l'Unef.
Vers 14 heures, le cortège s'élance, devancé par un dispositif policier imposant. Entre cent et deux cents CRS avancent ainsi collés au carré de tête, créant une tension avec les manifestants. Plusieurs centaines d'autonomes sont aussi là, qui harcèlent le service d'ordre des syndicats: «SO, collabos», hurlent-ils au début du parcours.
«Maintenant, ça va être dur de faire plier» le gouvernement
Dans les rangs des manifestants, Cédric, 38 ans, agent d'accueil syndiqué à la CGT, avoue ne plus savoir s'il est encore possible de faire reculer l'exécutif. «J'ai envie d'y croire mais j'ai beaucoup de doute… Quand je vois l'entêtement du gouvernement sur la loi Macron». Et de dénoncer lui aussi, comme de nombreux manifestants, «l'inversion de la hiérarchie des normes, qui fait que cette loi est inacceptable». Laurent, 59 ans, salarié d'un centre pour handicapés et adhérent Sud, juge, lui, «lamentable» le recours au 49.3: «C'est un scandale, et maintenant ça va être dur de les faire plier. Il reste bien les sénateurs, mais bon, on ne peut pas trop compter sur eux…». Un peu plus loin, Benoît, 37 ans, prof syndiqué au Snes, reconnaît être venu par «solidarité»: «Mais je sais aussi que quand on commence à s'en prendre aux protections collectives dans le privé, les fonctionnaires sont très vite concernés derrière.» Victor, militant de Nuit Debout, très actif depuis ses débuts, espère, pour sa part, que l'utilisation du 49.3 par le gouvernement va «relancer le mouvement». Parce que «ça montre comment Valls en a rien à foutre de ce que pensent les Français, il n'est là que pour servir les intérêts du capital».
Victor a à peine le temps de finir sa phrase qu'éclatent les premiers incidents entre des centaines d’autonomes et la police. Jets de projectiles contre gaz lacrymogènes et grenades assourdissantes: la scène se répétera tout au long de la manifestation. Devant les Invalides, point d’arrivée du cortège, ce sont même les militaires, gardiens du lieu, qui interviendront, dans une certaine confusion, pour empêcher l’envahissement du bâtiment par la foule. En fin d’après-midi, plusieurs centaines d’entre eux tentaient, sous les gaz lacrymos, de rejoindre l’Assemblée.
Les opposants au projet de loi ont prévu deux nouvelles dates de mobilisations, les 17 et 19 mai. Le mouvement Nuit Debout, de son côté, organise une journée mondiale, dimanche 15 mai. Par ailleurs, une pétition en ligne demandant (en vain) à ce que les députés de gauche votent la motion de censure de la droite, recueillait déjà, jeudi en fin de journée, plus de 330 000 signatures. Affaibli, le mouvement contre la loi Travail a encore de la ressource.