Le face-à-face n'a duré que quelques minutes. Alors que plusieurs centaines de policiers se rassemblent mercredi place de la République, à Paris, pour dénoncer la «haine antiflics», des manifestants tentent, à 50 mètres, de faire entendre leur voix. Les slogans sont aussi violents que classiques : «Tout le monde déteste la police !», «Flics, porcs, assassins !», «Pétain, reviens, t'as oublié tes chiens !» Un cordon de gendarmes mobiles sépare les deux groupes. Très vite, ils utilisent les gaz lacrymogènes. A terre, beaucoup pleurent, sonnés et en colère.
«Poulets rôtis». Quelques minutes plus tard, des manifestants s'infiltrent de force dans une rue voisine, enjoignant les autres à faire de même. Les forces de l'ordre sont dépassées. Tout à coup, comme un seul homme, ce groupe composé d'une grosse centaine de personnes se met à courir vers le canal Saint-Martin. Trop vite pour les CRS, à la traîne dans cette manif sauvage. Quai de Valmy, des manifestants lancent des bouteilles en verre sur les forces de l'ordre. Puis s'en prennent à une voiture de police, qu'ils frappent à coups de barre de fer avant d'y mettre le feu. Deux agents réussissent à s'en extirper. Au sol, une pancarte «Poulets rôtis» est déposée près de la carcasse calcinée. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour tentative d'homicide volontaire. Dans la soirée, on apprenait que trois hommes ont été placés en garde à vue.
Pendant ce temps, autour de la statue de la République, les rangs des manifestants policiers grossissent peu à peu. La plupart des syndicats se sont associés à l'appel initié par le premier d'entre eux, Alliance. Didier et Joris, gardiens de la paix à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), sont venus apporter leur «soutien» aux collègues «affectés depuis des années par les violences». Eux-mêmes, la vingtaine, disent y être confrontés chaque jour dans les quartiers populaires. Leurs revendications sont simples : plus de moyens. «On est parfois obligés d'acheter nous-mêmes notre matériel, explique Joris. On manque de matraques télescopiques, par exemple. On ne nous fournit que des tonfas, qui sont assez longs et chiants à transporter quand on court.» Leur rémunération, 1 800 euros par mois, leur paraît insuffisante.
Selfies. Alors que les têtes d'affiche du raout syndical se font encore désirer, de nombreux policiers convergent vers un même point. Au milieu d'une nuée de micros et de caméras émerge une tête blonde : Marion Maréchal-Le Pen, députée du Front national, accompagnée de son collègue Gilbert Collard. C'est parti pour vingt minutes de selfies avec des manifestants tout sourire. A la tribune, l'ambiance monte peu à peu. L'apéritif est complété par une vidéo de quelques minutes montrant «ce que subissent nos collègues tous les jours». Nourri d'images chocs, le document se focalise sur les violences commises à l'encontre des forces de l'ordre. Rien sur les nombreux cas d'usage disproportionné de la force par les policiers et gendarmes. De toute façon, tout cela n'est que manipulation pour Philippe Capon, le patron de l'Unsa Police, premier à prendre le micro. L'homme assure ainsi que «certains débordements sont orchestrés par des pseudo-reporters qui relaieront outrancièrement le geste malheureux d'un collègue excédé». Jean-Claude Delage, secrétaire général d'Alliance, lui succède. Guère plus nuancé, il égratigne pêle-mêle le «Conseil de l'Europe qui fait passer la police française pour une association de tortionnaires» et les manifestants «beaucoup moins dignes que (nous), qui cassent, brûlent, pillent». Une petite Marseillaise et un second visionnage de la vidéo des «casseurs» plus loin, et la foule se disperse.