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Libération
EDITORIAL

Abîme social et philosophique

L'appel des 40 au CAC 40dossier
Le 18 mai au Havre. (Photo Charly Triballeau. AFP)
publié le 18 mai 2016 à 20h41

Il y a d'abord l'indignation. Comment un homme qui n'a pris aucun risque, qui n'a inventé aucun procédé révolutionnaire, qui a fait en général une carrière linéaire au sein de vastes organisations, peut-il valoir 300 fois un autre homme ou une autre femme qui travaille dans la même organisation ? Ce qu'on admet pour un créateur d'entreprise qui a joué toute sa mise sur une idée, qui a pris sur lui le risque de l'échec et de la faillite, qui a porté son entreprise au premier rang, tel un Jobs ou un Zuckerberg, peut-on l'accepter pour un manager de la technostructure, aussi compétent soit-il ? Il y a là un abîme social et philosophique que les moralistes de toutes obédiences ont toujours condamné. Un capitaliste aussi féroce que J.P. Morgan, magnat de la banque et du rail à la fin du XIXe siècle, considérait qu'au-delà de 20 fois le salaire minimum, on déchirait le contrat social dans l'entreprise.

On rétorque que la prospérité des firmes est à ce prix. Billevesées. Après la guerre, quand le taux de croissance des économies était deux ou trois fois supérieur à ce qu’il est aujourd’hui, on n’avait jamais osé aller aussi loin. C’est dans les années 80, avec le triomphe du reaganisme et de la finance, que les rémunérations se sont envolées. Les actionnaires voulaient des managers entièrement dévoués à leur cause : ils les ont payés à prix d’or en échange de leur dévotion à la «création de valeur». Le taux de croissance des Etats-Unis ou de l’Europe n’en a pas progressé pour autant. Autrement dit, quand les patrons étaient moins payés, le capitalisme marchait mieux… Et les dirigeants ne vivaient pas dans un monde sans limite, étranger au commun des mortels, nantis d’une fortune personnelle qui les font basculer dans l’univers doré des milliardaires de magazine.

C'est la raison pour laquelle Libération lance cet Appel des 40, avec, entre autres, le soutien de personnalités aussi réformistes que le leader de la CFDT, le patron du PS ou le philosophe Marcel Gauchet. Le gouvernement, le Président, vont-ils entendre cette supplique de bon sens ? Voilà une réforme qui rassurerait tous ceux qui souhaitent une gauche de l'audace et de la réforme.