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Libération
A la barre

Affaire Kerviel : petite parenthèse prud'homale

L'ancien trader a assigné la Société générale devant les juges du travail pour licenciement «sans cause réelle et sérieuse», réclamant 800 000 euros d'indemnités. Et 4,9 milliards au titre de l'agitation procédurale.
Jérome Kerviel, le 21 mars, à la sortie du Palais de justice de Paris. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
publié le 19 mai 2016 à 18h30

Affaire Kerviel, le retour. Et via la case prud'homale, ce jeudi après-midi, avant que la justice pénale ne refasse le match en juin. Le trader déchu de la Société générale réclame 800 000 euros de dommages et intérêts (bonus et préjudice vexatoire inclus) pour son licenciement «sans cause réelle et sérieuse» intervenu en 2008. Mais aussi, cette fois au titre de l'agitation procédurale, 4,9 milliards d'euros, soit le préjudice allégué que lui demande la banque, après ses pertes en bourse. «Le Conseil des prud'hommes n'est pas compétent en matière pénale», attaque d'emblée son président. «Vous n'êtes pas une chambre d'enregistrement du pénal», lui répond David Koubbi, avocat de l'ex-trader. «Autorité de la chose jugée, le pénal tient le civil», rétorque l'avocat de la banque, Arnaud Chaulet.

«Chuchoter à l’oreille de la justice»

Nonobstant ces considérations procédurales, les prud'hommes acceptent de se pencher sur le fond de l'affaire. MKoubbi déroule son argumentaire habituel : «On vous vend une vieille histoire, celle d'un Kerviel pervers et manipulateur ayant causé un préjudice historique à sa banque, la Société générale, préférant passer pour incompétente plutôt que malhonnête. Elle devrait être crue sur parole, car elle a le pouvoir de chuchoter à l'oreille de la justice. Mais nous ne sommes plus seuls à le dénoncer.» Allusion aux Panama Papers. MChaulet s'en tient à sa ligne initiale : «Pourquoi ça n'a pas été détecté ? Parce qu'il a masqué, menti, fabriqué des faux documents.»

Pourtant, tant que Jérôme Kerviel gagnait de l’argent, quitte à dépasser son seuil d’investissement autorisé (125 millions d’euros), quitte à le faire exploser (jusqu’à 13 milliards), au vu et au su de ses supérieurs, la Société générale se contentait d’encaisser ses gains en lui assignant, année après année, des objectifs toujours plus élevés. Son superviseur direct, Eric Cordelle, pourrait en témoigner, mais il a pu paraître tenu au silence, négociant parallèlement une indemnité de 1,3 million d’euros avec la «Générale». Un magistrat lui a demandé un jour :

«Qu’est-ce qui se passe si vous parlez ?

— Je dois rendre l’argent.»

«La presse dit parfois des conneries»

Oublions un instant l'affaire Kerviel pour se pencher sur le tribunal parisien des prud'hommes. Son président du jour, Hugues Cambournac (représentant du collège employeurs), campe d'entrée son imperium : «Je vous préviens, SMS, textos et autres sont considérés comme des enregistrements de l'audience. Sinon, je prononce le huis clos !» Ils sont pourtant tolérés et pratiqués en matière pénale, mais même sous l'hermine d'un magistrat prud'homal, un patron reste un patron… Coupant la parole à MKoubbi :

«On n’est toujours pas dans le sujet

— Je suis en plein dedans, vous me couperez définitivement quand vous en aurez marre.»

En fin d'audience, il plastronne : «La presse dit parfois des conneries, 20 Minutes écrivant ce matin que notre jugement sera mis en délibéré. Pour la contredire, il sera rendu en fin d'audience.» Avant de se déjuger lui-même, renvoyant la décision au 7 juin. Pas de doute, l'affaire Kerviel est entre de bonnes mains.