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Libération
CAC 40

Salaires des patrons, une loi qui ne coûte pas cher

L'appel des 40 au CAC 40dossier
Répondant à l’appel de «Libération», l’exécutif est décidé à légiférer, mais reste très prudent concernant la limitation salariale des patrons.
La table du comité des directeurs de Total (Courbevoie), en décembre 2009. Extrait de la série issue du livre «The Table of Power 2» (éd. Hatje Cantz) de Jacqueline Hassink. (Photo Jacqueline Hassink)
publié le 19 mai 2016 à 21h01

Il y a des «si» qui pèsent plus lourd que d'autres. A l'heure où la majorité est à la recherche de marqueurs de gauche, l'exécutif a semblé, jeudi, approuver l'idée d'une loi sur le salaire des patrons, tout en mettant moult bémols et conditionnel. «S'il n'y a pas de responsabilité du côté des patrons, s'ils pensent qu'on peut, même quelques fois contre l'avis du conseil des actionnaires, s'augmenter sans aucune autre forme de limitation, ça ne pourra pas continuer, a prévenu le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. Donc s'il faut légiférer, on légiférera.»

Manuel Valls et Emmanuel Macron, eux, ont rejoué le même numéro de duettistes que Jean-Marc Ayrault et Pierre Moscovici, Premier ministre et ministre de l'Economie en 2013 : déterrer, enterrer. «Nous avons fait le choix dans un premier temps de mettre les entreprises face à leurs responsabilités, en l'occurrence le patronat, a fait valoir Manuel Valls. Force est de constater que cela n'a pas été respecté. Donc maintenant, il faut légiférer. […] Il n'est pas immoral de bien gagner sa vie. Mais ce qui est immoral, ce sont ces rémunérations, de s'augmenter de cette manière sans se rendre compte des dégâts que cela peut représenter.» Victoire ? Pas vraiment, puisque juste après, le chef du gouvernement avance le risque d'inconstitutionnalité d'une interdiction de rémunérer les grands patrons plus de 100 Smic. Valls préfère donc valider pour l'instant la proposition de François Hollande de rendre exécutoires - et non plus consultatifs - les votes des assemblées générales d'actionnaires sur les rémunérations. Avec l'assentiment de l'Elysée et de Matignon, un amendement à une proposition de loi rédigée par le Front de gauche a d'ailleurs été adopté en ce sens mercredi à l'Assemblée.

Alors qu'il avait lui-même laissé planer la menace d'une loi il y a quinze jours, Emmanuel Macron s'est une fois de plus démarqué du Premier ministre jeudi. «C'est un bon sujet de débat, mais c'est un mauvais sujet pour la loi», a-t-il fait valoir devant une conférence d'investisseurs à Paris. Reprenant mot pour mot l'argumentaire patronal : «Si on fait une loi, on perd les sièges sociaux.» Comme Moscovici en son temps, Macron préfère en appeler à «la responsabilité éthique et collective» et offre un délai de grâce aux grands groupes qui doivent «se montrer à la hauteur. Sinon, celles et ceux qui proposent aujourd'hui une loi seront légitimes dans quelque temps à la faire». Et seulement si.

La table du comité des directeurs d'ArcelorMittal (Luxembourg), en décembre 2009. Extrait de la série issue du livre «The Table of Power 2» (éd. Hatje Cantz) de Jacqueline Hassink. Photo Jacqueline Hassink

Karine Berger, députée PS, signataire de «l’appel des 40»

«Après tous les scandales, légiférer est inévitable» 

«En 2013 après la crise de la finance, un article de la loi de régulation bancaire a limité les salaires des traders. La France a pu légiférer et a inspiré toute l'UE, qui a adopté une directive en ce sens. Encadrer les plus hauts salaires est donc possible, et à l'époque cela avait même été jugé souhaitable. Pourquoi alors, trois ans plus tard, certains, comme le ministre de l'Economie, affirment que «la loi n'est pas la bonne méthode» ? Les dérives de comportement d'une infime minorité de grands patrons conduisent pourtant aux mêmes dérives que dans la finance : obsédés par leurs rémunérations assises sur les résultats annuels, certains dirigeants poussent leur entreprise vers une stratégie d'ultra court terme sacrifiant tout investissement, même faiblement risqué, pour afficher des résultats justifiant des millions et des millions de rémunération variable.

«Après la retraite chapeau de M. Varin à PSA, une entreprise sauvée par l'Etat, après les «golden hello» de Sanofi, après le parachute doré de M. Combes [patron de SFR, propriétaire de Libération, ndlr] suite au rachat d'Alcatel-Lucent, après le refus du conseil d'administration de Renault de suivre l'avis de ses propres actionnaires sur la rémunération de M. Ghosn, légiférer est inévitable. Le Medef et l'Afep [Association française des entreprises privées] ont eu trois ans pour faire appliquer un code d'autorégulation, et ils ont échoué. Au législateur de donner aux entreprises, salariés et actionnaires, les moyens de redonner un sens à la «raison sociale» des groupes du CAC 40.»

Thierry Kuhn, président d’Emmaüs France, signataire de «l’appel des 40»

«L’Etat doit être le garant de la cohésion sociale»

«En France, 145 000 personnes sont sans domicile, le chômage de longue durée explose et les inégalités se creusent de manière dramatique entre les très riches et les très pauvres. Nous faisons face à une crise économique et sociale, mais aussi à une crise de sens et de confiance entre citoyens et décideurs économiques et politiques. Elle se traduit par une forte abstention ou par un vote de désespoir en faveur des extrêmes dans l’électorat populaire.

«Rien aujourd’hui ne peut justifier que des personnes s’octroient des revenus indécents au regard de la situation des couches modestes et des 8,8 millions de personnes sous le seuil de pauvreté. Notre société a besoin d’un système de répartition des richesses plus équitable. Imaginez que le salaire brut annuel du PDG de PSA-Peugeot Citroën, Carlos Tavares (5,24 millions d’euros), correspond à 830 années de RSA (6 300 euros par an).

«Aujourd’hui, ce sont pourtant les bénéficiaires de minima sociaux qui se trouvent stigmatisés, alors que leurs revenus permettent à peine de survivre. Pour Emmaüs, l’Etat doit jouer son rôle de garant de la cohésion sociale en mettant un frein aux inégalités. Les entreprises d’économie solidaire, pratiquent une échelle de salaire qui va de 1 à 10 maximum. En leur sein, les mérites des uns et des autres sont reconnus, ces entreprises créent des emplois et des richesses, mais travaillent aussi à réduire les inégalités de revenus : leur réussite prouve que c’est possible.»

La tables du comité des directeurs de BNP Paribas (Paris), en décembre 2009. Extrait de la série issue du livre «The Table of Power 2» (éd. Hatje Cantz) de Jacqueline Hassink. Photo Jacqueline Hassink

Laurence Parisot, ex-patronne du Medef, non signataire

«Beaucoup de gens passeraient sous le radar»

«Je suis très irritée par certaines rémunérations. Très récemment encore, j’ai dit mon désaccord avec la position prise par le conseil d’administration de Renault. Je partage certains points de «l’Appel des 40 au CAC 40», mais la solution que vous recommandez pose de nombreux problèmes. Vous en citez certains, mais pas tous. Un exemple, la baisse de la rémunération du mandataire social n’entraîne pas du tout la baisse des autres cadres dirigeants. Regardez dans les entreprises publiques soumises à la règle des 450 000 euros annuels : il y a chez chacune d’elle en moyenne 50 personnes qui gagnent plus que le patron. Dingo et pas tenable sur le long terme.

«Autre remarque : ce principe ne s’appliquerait qu’aux entreprises cotées. Donc, un gérant de cabinet d’architecte qui gagne plus de 2 millions d’euros et qui fait travailler des stagiaires mal rémunérés ne serait pas concerné ; un cadre dirigeant d’une entreprise non cotée et qui gagne 10 millions d’euros passerait sous le radar ; un artiste qui gagne 20 millions par an et qui utilise toute l’année sans vergogne les services d’intermittents ne serait pas concerné ; un écrivain à succès qui empoche 1,8 million de droits d’auteur et qui ne fait travailler personne ne le serait pas plus. Mes préoccupations sont très proches des vôtres : le repli sur soi, la défiance, l’écœurement, le poujadisme sont des menaces pour la cohésion de notre société. Mais il faut s’y prendre autrement.»

Henri Guaino, député LR, non signataire  

«Pas la meilleure solution»

«Qu’il s’agisse d’un vrai sujet politique, c’est incontestable. Les revenus de certains dirigeants d’entreprises ont pris des proportions insupportables. Il est clair que cela ne peut pas continuer comme ça. C’est pourquoi je trouve très bien qu’on prenne l’initiative de mettre cette question en débat. Mais je ne me suis pas fait de religion sur la méthode. Fixer un plafond par la loi ? Pas sûr que ce soit la meilleure solution. Si j’étais sollicité en tant qu’intellectuel, je signerais peut-être cette pétition, qui est un bon signal. Mais je suis dans une situation différente, celle d’un parlementaire : si je signe un texte c’est que je suis prêt à voter sa traduction législative. Ce n’est pas le cas, ma réflexion n’est pas achevée.»