Deux des hommes de sa vie ont frôlé la mort. Les deux autres ont péri dans des circonstances troubles. Manuela Gonzalez, 55 ans, est soupçonnée d'avoir assassiné le dernier, Daniel Cano, ce qui lui vaut de comparaître devant la cour d'appel de Valence (Drôme) à partir de lundi. Autant dire que son passé la précédera certainement dans le box des accusés. Cela fait longtemps que la veuve Cano est devenue, pour les médias, la «Veuve noire», du nom de cette petite araignée venimeuse réputée dévorer le mâle après l'accouplement. En première instance, en avril 2014, l'avocat général lui a même lancé, comme pour entretenir la légende : «C'est vrai, madame Gonzalez, le noir vous va très bien», avant que les jurés ne prononcent une peine de trente ans de réclusion criminelle, au-delà des vingt-cinq ans requis. Manuela Gonzalez avait pourtant tout fait pour gommer les aspérités, jouant la carte de l'accusée «normale», soucieuse de s'afficher comme une monitrice d'auto-école simple et coquette, une citoyenne qui travaille et paye ses dettes. En vain. Ses protestations d'innocence étaient passées pour du déni, sa biographie sentimentale pour un casier judiciaire non écrit.
Trois sédatifs
Néanmoins, Manuela Gonzalez n'est plus derrière les barreaux. Estimant que le procès en appel n'était pas audiencé dans un «délai raisonnable» - une exigence de la Cour européenne des droits de l'homme - la chambre de l'instruction a permis sa libération en septembre dernier. Réfugiée à la Motte-d'Aveillans (Isère) auprès de sa fille, elle a travaillé dans une station de ski durant l'hiver et s'occupe aujourd'hui de ses parents malades. Elle soigne aussi sa défense. Pour ce nouveau rendez-vous avec la justice, elle devrait être plus «détendue», plus «naturelle» pour «montrer qui elle est vraiment», loin de cette «femme nerveuse, recroquevillée derrière ses cheveux noirs», espère son avocat, Me Ronald Gallo. Loin aussi de ce personnage médiatique de «Veuve noire» qui fascine les amateurs de faits divers, dans la droite lignée d'une Marie Besnard ou d'une Simone Weber. L'avocat s'échine en effet à torpiller le mythe judiciaire. On l'aurait «mal jugée», «mal comprise», cette accusée croquée à gros traits comme une mante religieuse, une femme littéralement fatale. «C'est avant tout une personne travailleuse, courageuse et affectueuse avec les siens», dépeint-il. Trois morts et deux comas, ça fait tout de même beaucoup. Une «malédiction», «les malheurs de ma vie», a soutenu Manuela Gonzalez tandis que l'acte d'accusation mettait plutôt en exergue une série «d'anomalies compromettantes».
Comme de nombreuses affaires criminelles, celle-ci commence en suivant les pas d'un promeneur solitaire. Au matin du 31 octobre 2008, ce passant découvre une voiture calcinée près d'un champ de maïs à Villard-Bonnot, en Pays du Grésivaudan (Isère). Dans la carcasse encore fumante, les gendarmes distinguent les restes d'un corps assis sur la banquette arrière. Ils identifient sans mal la Citroën Xantia des époux Cano habitant à quelques centaines de mètres. Lorsque Manuela les accueille sur le pas de la porte, elle leur fournit «spontanément» son emploi du temps tout en s'inquiétant de l'absence de son mari. Il est parti la veille pour livrer des oiseaux exotiques dont il fait l'élevage et n'est jamais rentré, explique-t-elle. Rapidement, l'enquête conclut à un incendie volontaire et l'autopsie confirme qu'il s'agit bien du corps de Daniel Cano, chaudronnier de 58 ans. On trouve trois sédatifs dans son sang : du Tercian, du Zolpidem et de l'Imovane. Un suicide ? L'entourage du défunt ne veut pas y croire. Sa veuve non plus.
Imbroglios financiers
Etant la dernière à avoir côtoyé la victime vivante, Manuela Gonzalez fait un bon témoin. Mais les enquêteurs lui préfèrent le rôle de suspect lorsqu'ils épluchent ses relevés bancaires. Il y a du mouvement… D'importants transferts d'argent ont été réalisés depuis les comptes de son mari vers les siens, quinze jours avant sa mort. Pour éponger des dettes de casino, établissements qu'elle fréquente assidûment - pathologiquement disent les experts- l'accusée a même contracté un prêt hypothécaire de 165 000 euros, garanti sur la maison commune. «Le mobile de Manuela Gonzalez, c'est l'argent, c'est une évidence!» s'exclame Me François Leclerc, avocat de la famille Cano. En effet, la perte de son mari lui rapporterait gros : 235 000 euros provenant de deux contrats d'assurance-vie, ainsi que l'exonération de remboursement du prêt.
Le dossier, rocambolesque à souhait, regorge d'imbroglios financiers qui ont déjà valu à l'accusée des démêlés avec la justice : arnaques, fraudes aux allocs, à la Sécu, trafic de permis de conduire, prostitution occasionnelle… «L'argent l'a toujours fait courir, c'est le dénominateur commun entre toutes ses condamnations», insiste la partie civile.
La veuve Gonzalez, une flambeuse ? Mot compte double. Les gendarmes ont décelé la trace d'un autre incendie, plus ancien, au domicile du couple. Le 29 septembre 2008, soit un mois avant sa mort, les flammes avaient déjà frôlé Daniel Cano, qui dormait paisiblement. Il s'était réveillé juste à temps pour se sauver. Manuela, quant à elle, était en train de préparer à manger dans la cuisine. A 4 heures du matin ? Devant l'étonnement des gendarmes, elle s'était ravisée : ah non, elle était aux toilettes. Pour le départ de feu, elle a invoqué «une grosse bougie de Lourdes» renversée par le chien. Mais son mari serait resté dubitatif, selon le témoignage de son fils, Nicolas, qui aurait surpris une conversation animée entre les époux. «Me prends pas pour un con, y a jamais eu de bougie dans cette chambre», s'énervait Daniel Cano. Soit le sort s'est acharné contre lui, soit on s'y est repris à deux fois pour le tuer. La cour d'assises de Grenoble avait penché en faveur de cette seconde hypothèse en condamnant également Manuela Gonzalez pour tentative d'assassinat. «En première instance, elle a nié de façon presque enfantine et, mise devant ses contradictions, elle s'est tue ou a menti, relate Me François Leclerc. Elle est impossible à comprendre, à classifier, c'est étonnant. Même les psychiatres s'y sont cassé les dents.»
Ablation de l’œsophage
Le mystère Gonzalez tient surtout à son passé sentimental. Fille d'immigrés espagnols qui se sont installés dans les années 50 dans la région de Grenoble, elle a rencontré Gilbert, son premier compagnon, à 16 ans. Elle l'épouse à 18 et leur fille, Virginie, naît deux ans plus tard. Mais, en 1983, Gilbert est hospitalisé car il a absorbé une dose massive de sédatifs. Il ne doit sa survie qu'à une ablation de l'œsophage réalisée en urgence. S'il n'y a pas d'enquête, le couple ne résiste pas à cet étrange épisode et se sépare. Manuela, devenue monitrice d'auto-école, fait alors la connaissance de Michel, un bijoutier de trente ans son aîné. En 1984, une voisine découvre le commerçant inanimé sur le sol de sa boutique, il a ingéré de la benzodiazépine, un puissant anxiolytique. Michel s'en sort mais accuse Manuela. Cette dernière admet alors avoir pilé des somnifères dans le thé de son compagnon pour lui soutirer quatre chèques. Elle écope de deux ans de prison avec sursis pour «vol avec violence».
Manuela Gonzalez se remet ensuite de ses déboires judiciaires au bras de François, un gérant de bar. Les épousailles seront écourtées par son décès en 1989 : l'homme est retrouvé asphyxié dans sa voiture. Lui aussi a ingurgité d'importantes doses de médicaments… Un suicide, détermine l'enquête. Fin de l'histoire. L'année suivante, Manuela entretient une brève relation avec Thierry, mais elle est «fort embêtée», comme elle le confie aux experts, d'apprendre son suicide. L'homme a été emporté par un incendie. Cette fois, Manuela Gonzalez est mise en examen et placée en détention provisoire pendant quinze jours. Mais elle a un alibi - elle était avec… Daniel Cano ! - et bénéficie donc d'un non-lieu.
Compagnons d’infortune
Voiture, incendie, sédatifs… Faut-il voir une série de coïncidences ou un mode opératoire ? «Ce sont des événements dramatiques qui n'ont pas suscité de condamnation», s'agace son avocat, soutenant que sa cliente pâtit de son «histoire non judiciaire». Daniel Cano sera-t-il l'exception ? Manuela Gonzalez soutient désormais que son mari s'est suicidé. «Elle s'est fourvoyée un temps mais elle s'est ensuite rendu compte qu'il était dépressif depuis la mort de sa mère», explique Me Gallo. Pour preuve, cette lettre qu'il aurait glissée dans le cercueil de sa mère lors de l'enterrement et dans laquelle il aurait écrit : «Bientôt je serai à tes côtés.» Une chose est sûre : lorsqu'elle prendra place dans le box des accusés à partir de lundi, Manuela Gonzalez ne laissera pas ses compagnons d'infortune lui causer une peine qu'elle juge injustifiée. Ses derniers mots de Grenoble seront sans doute les premiers à Valence : «Je suis innocente.» Piqûre de rappel de la - supposée - «Veuve noire».