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Libération
Récit

Règles de rémunération : «l'appel au peuple» des grands patrons...

Jusqu'au 8 juillet, les grands patrons encouragent les internautes à commenter le code Afep-Medef qu'ils ont modifié à la suite du scandale Renault.
Carlos Ghosn, patron de Renault, l'homme par qui le scandale est arrivé. (Photo AFP)
publié le 26 mai 2016 à 7h11

Las d'être critiqués par le gouvernement au motif de rémunérations qualifiées d'«indécentes» par le Premier ministre, les grands patrons en appellent à la démocratie participative. Depuis mardi et jusqu'au 8 juillet, l'Association des grandes entreprises privées, le lobby patronal du CAC 40, propose aux internautes de commenter les modifications apportées au code Afep (Association française des entreprises privées)-Medef de bonne conduite des grandes entreprises à la suite du scandale Renault. A commencer par son article 26, devenu clé depuis le refus du conseil d'administration du groupe automobile de revoir les émoluments de son PDG, Carlos Ghosn, en dépit du vote négatif des actionnaires réunis en assemblée générale : jusque-là «consultatif», le vote des actionnaires est désormais considéré comme «impératif».

Pour les grands patrons, désormais convaincus d'être les «boucs émissaires», selon l'expression du PDG d'Axa, Henri de Castries, d'un climat politique de plus en plus tendu, il s'agit avant tout d'une opération d'image. Pour eux, le besoin se faisait pressant de démontrer à l'opinion publique qu'ils ne sont pas les «irresponsables» qu'éreinte Manuel Valls. «Quand on prétend vouloir dialoguer pour trouver une solution, le minimum c'est de respecter son interlocuteur», s'indigne l'un d'entre eux, qui peine à digérer «l'insulte». «Le moins qu'on puisse dire c'est qu'on a du mal à trouver des interlocuteurs au gouvernement : Macron est cornérisé, Sapin pas vraiment ouvert au dialogue et ne parlons pas de Matignon…»

«Effets induits colossaux»

Mais l'Afep le sait : le cas Ghosn a rendu caduque l'accord tacite conclu en juillet 2013 dans le bureau du chef de l'Etat, les patrons s'engageant alors à mieux encadrer les modalités de leurs rémunérations en contrepartie du renoncement du gouvernement à légiférer sur la question. Cette fois, loi il y aura bien. Le couperet est tombé, il ne reste plus qu'à sauver les meubles. «C'est la "soft law" qui doit s'imposer, fait-on valoir à l'Afep. L'adhésion au code Afep-Medef est un acte volontaire et une fois qu'on y a adhéré, l'obligation morale est de le respecter. S'il doit y avoir disposition législative, le mieux serait de reprendre la formulation du code.»

A défaut, le lobby des grands patrons français augure mal de la suite, en cas de transfert trop poussé du pouvoir des managers jusqu'à présent investi des pouvoirs les plus étendus pour diriger leur société au profit de l'assemblée des actionnaires. «Rompre l'actuel équilibre pourrait avoir des effets induits colossaux, prévient l'association. Dans la grande majorité des sociétés françaises, le conseil d'administration défend la société, au regard de critères économiques, sociaux et environnementaux. Dans les pays anglo-saxons, ce n'est absolument pas le cas : le conseil d'administration y est le représentant exclusif des actionnaires et il n'est sensible qu'au total "shareolder value", autrement dit au cours de Bourse et aux dividendes versés… On risque donc de changer radicalement le mode de gestion des entreprises françaises, dans un contexte ou les investisseurs institutionnels hexagonaux sont faibles : le capital des entreprises du CAC 40 est désormais détenu pour moitié par des investisseurs étrangers…» On ne saurait mieux dire que du point de vue de l'Afep, les patrons français sont une exception culturelle à ménager.