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Libération
Disparition

Jean-Claude Decaux quitte la ville

L'inventeur du mobilier urbain et du système «Abribus contre publicité» est mort à 78 ans.
Jean-Claude Decaux à Toulouse, en 2007. (Photo Pascal Pavani. AFP)
publié le 27 mai 2016 à 19h05

De l'héritage urbain de Jean-Claude Decaux, qui vient de mourir à 78 ans, on discutera sans doute encore longtemps. D'un côté, on est contents de savoir que Belleville, c'est par là (grâce aux flèches JCDecaux), d'attendre le 91 au sec (sous l'Abribus JCDecaux) ou de trouver un plan du quartier (au dos de la «sucette» JCDecaux). De l'autre, quelle tristesse que l'infinie reproduction de ces mobiliers urbains multipliés ad libitum dans toutes les villes de France mais aussi du monde. Sans compter le style, d'un goût peu sûr. Dans une ville comme Paris, qui avait inventé le mobilier urbain au XIXe siècle avec Alphand, l'arrivée des créations de Jean-Claude Decaux a été un choc esthétique violent.

Numéro 1 mondial

Mais quand même, quel génie… Lui qui posait en 1964 de simples panneaux d’affichage sur les bords des routes vers Beauvais a compris le premier que la publicité pouvait s’exposer sur bien d’autres surfaces, pourvu qu’on les crée. Jean-Claude Decaux plante ses premiers Abribus à Lyon, puis expérimente le système sur des cabines téléphoniques parisiennes en 1971. Les dispositifs sont malins, mais le deal qui les accompagne ne l’est pas moins. Aux élus, Decaux propose un marché simple : je finance, je construis et j’entretiens les Abribus, les panneaux publicitaires, la signalétique dont vous avez tant besoin. Et je me paye avec la publicité. Le matériel est solide, Decaux assure la maintenance, que demande le peuple des élus ? La formule est tellement convaincante qu’elle va permettre à ce pionnier de considérer bien des villes, à commencer par Paris, comme pays conquis.

Decaux a fait de sa société le numéro 1 mondial du mobilier urbain mais il faut reconnaître qu’il a déployé pour cela tous les efforts nécessaires. D’abord en se demandant perpétuellement quelles inventions nouvelles étaient encore plantables sur les trottoirs des villes. D’où l’idée de la Sanisette, système de WC automatique bien plus propre que les vespasiennes mais bien moins joli. D’où l’idée aussi qu’il était hors de question que le marché des vélos en libre-service puisse lui échapper. JCDecaux avait emporté le marché lyonnais des Vélo’v. Il entendait bien décrocher aussi celui des Vélib' de Paris. Son concurrent Clear Channel était bien parti pour décrocher la timballe, mais c’était compter sans l’opiniâtreté et l’efficacité procédurière de l’obstiné Jean-Claude. Aujourd’hui, le Vélib', dessiné par le crayon toujours un peu lourd de la maison JCDecaux, glisse dans les rues de Paris. Au fil des victoires, Decaux a construit un empire certes, mais aussi la réputation d’être un peu limite quant aux règles du code des marchés publics et pas avare en pressions.

Organisation militaire

Jean-Claude Decaux était un conservateur au vrai sens du terme. Gaulliste dans l'âme, il ne se force pas beaucoup pour nouer de bonnes relations avec le RPR de Jacques Chirac, maire de Paris à partir de 1977. Ce qui ne l'empêchera quand même pas de poursuivre ses relations commerciales avec la gauche parisienne. Son indifférence absolue à l'esthétique de la capitale lui vaut une image déplorable mais il s'en fiche. Son but est de consolider son entreprise, 100% française et organisée à la militaire. On se souvient d'une photo où tous les véhicules de JCDecaux avaient été rangés comme à la parade. On se rappelle aussi un invraisemblable déjeuner dans les locaux de Libération, où Jean-Claude Decaux invité par Serge July, nous avait décrit sa jeunesse de chef scout, sonnant le réveil à la trompe et exigeant des lits au carré.

Avant de mourir, Jean-Claude Decaux avait organisé sa succession à la tête de l’entreprise dont il a confié les commandes à ses trois fils, Jean-François, Jean-Charles et Jean-Sébastien. De nos jours, les élus demandent un mobilier urbain moins laid. Mais souvent à JCDecaux.