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Libération
A la barre

«Procès de la chemise» : première manche pour les manifestants d'Air France

Les avocats des quinze prévenus, accusés de violences contre Xavier Broseta et Pierre Plissonnier, et de dégradations, ont obtenu le renvoi de l'audience prévue ce vendredi.
Devant le palais de justice, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), ce vendredi. (Photo Marc Chaumeil pour «Libération»)
publié le 27 mai 2016 à 18h44
(mis à jour le 27 mai 2016 à 18h48)

En ce vendredi matin peu après 9 heures, le président de la 14e chambre correctionnelle de Bobigny ouvre l'audience par une bonne petite blagounette. «Je vais faire une annonce officielle. Alors, nous ne sommes pas au théâtre ni à l'opéra, et je ne vais pas la faire avec une voix d'hôtesse de l'air…» Hummm. Sans doute une manière de détendre l'atmosphère dans une salle essentiellement composée de représentants d'Air France, de salariés ou ex-salariés de la compagnie aérienne poursuivis pour violences et dégradation, d'une pléthore d'avocats, de nombreux journalistes. Et surtout, des deux principaux protagonistes et parties civiles de cette affaire, dont les images ont circulé à travers tous les médias du monde : Xavier Broseta et Pierre Plissonnier, respectivement DRH et responsable de l'activité long-courriers au moment des faits lorsque, le 5 octobre 2015, ils se sont fait arracher leur chemise au milieu d'une foule en colère.

Après «l'annonce officielle», qui consiste à rappeler que les téléphones doivent rester dans les poches et que les policiers «seront attentifs», le président appelle les quinze prévenus à la barre. Cinq d'entre eux sont jugés pour «violences en réunion» à l'encontre des deux cadres et de vigiles. Celui qui a donné des «coups de poing dans le dos», celui qui a «attrapé M. Plissonnier par le col et l'a tiré en arrière», celui qui a «plaqué contre un mur» le responsable de la sécurité incendie de Roissy, celui qui a attrapé Pierre Plissonnier «par le col, arrachant un bout de chemise», celui «qui a saisi Xavier Broseta par le bras». Dix autres sont poursuivis pour dégradation, notamment pour avoir forcé la grille qui mène au parvis devant le siège social d'Air France.

Citation directe

A l'origine du procès : une manifestation organisée devant le siège de l'entreprise, en marge d'une réunion du comité central d'entreprise (CCE) durant laquelle la direction s'apprêtait à annoncer la suppression de 2 900 postes. Après le forçage de la grille, des dizaines de salariés avaient envahi la salle où se tenait le CCE en scandant «on est chez nous». La réunion avait finalement été suspendue et, alors que les deux cadres tentaient de sortir sous la protection de vigiles, Xavier Broseta s'était retrouvé torse nu et le responsable de l'activité long-courriers n'avait plus qu'une chemise en lambeaux sur les épaules. Ils étaient parvenus à s'échapper en escaladant un grillage, sous les huées des manifestants. L'audience doit permettre de retracer exactement, et dans la mesure du possible, le fil des événements. Mais ce ne sera pas pour ce vendredi.

Dans le cadre de cette affaire, les avocats de la défense ont saisi la justice sous forme de citation directe contre Air France et plusieurs sociétés de sécurité. Ils reprochent à la compagnie aérienne d'avoir volontairement bloqué cette grille, ce qui, à leurs yeux, est un délit d'entrave au droit syndical puisque des délégués syndicaux s'étaient retrouvés coincés de l'autre côté de la grille, les empêchant d'entrer. Ils accusent aussi Air France d'avoir fait appel à des sociétés de gardiennage pour bloquer l'accès au siège social, ce qui, soutiennent-ils, est un délit d'immixtion de la part d'une entreprise extérieure dans le cadre d'un conflit du travail. Ils reprochent enfin à la direction d'Air France de s'être rendue complice de ce délit. Or, pour Lilia Mhissen, avocate de plusieurs prévenus, ces deux affaires doivent être jugées en même temps. «Vous ne pouvez pas condamner ces prévenus sans l'ensemble des éléments du dossier», avance-t-elle lors de l'examen du renvoi, qu'elle et deux autres confrères ont déposé auprès du juge.

Prochain épisode en septembre

Les avocats des parties civiles ont beau insister pour le maintien de l'audience, affirmer que messieurs Broseta et Plissonnier sont «des personnes physiques qui ont fait l'objet de violences» et qu'ils «ne sont pas visés par ces citations directes», que les avocats de la défense ne recherchent qu'un «happening judiciaire» en demandant la jonction des plaintes, ils ont beau obtenir l'appui du procureur de la République, le tribunal accède à la demande de renvoi. Après deux heures de débats, le procès est finalement renvoyé aux 27 et 28 septembre.

Et il n'est même pas certain que le fond soit abordé lors de la prochaine audience. Car le tribunal motive sa décision en s'appuyant sur un autre argument avancé par la défense : à savoir qu'un seul jour ne suffirait pas pour juger ce dossier : «Ce débat doit avoir lieu sereinement et pas à la sauvette.» A charge de la défense de présenter une nouvelle demande de renvoi pour réclamer la jonction des affaires. Si elle est acceptée, le procès sera de nouveau repoussé. «L'audience aurait été bâclée», lâche un des avocats de la défense qui ne cache pas sa satisfaction. Côté Air France, MBaudouin de Moucheron dénonce la manœuvre dilatoire : «La défense des prévenus a tout fait pour ne pas être jugée aujourd'hui. Elle a commencé par une espèce de sabotage de l'audience pour obtenir un renvoi.»

Alors que la salle se vide difficilement en raison des journalistes et caméras qui bloquent la sortie, Xavier Broseta Et Pierre Plissonnier s’éclipsent par une porte dérobée.