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Réfugiés

De Calais à Istres, des promesses en l’air

Incités à quitter la «jungle» pour rejoindre des centres d’accueil, des réfugiés se retrouvent dans l’impasse, l’examen de leur demande d’asile fluctuant d’une préfecture à une autre.
Samir a pris le bus depuis Calais pour rejoindre le centre d’accueil et d’orientation d’Istres (Bouches-du-Rhône). Son dossier de demandeur d’asile est en cours de traitement. (Photo Olivier Monge. Myop pour Libération)
par Stéphanie Harounyan, Envoyée spéciale à Istres (Bouches-du-Rhône)
publié le 30 mai 2016 à 20h21

«Si je suis mieux ici que dans la jungle ?» La question fait rire Aly. Forcément, à côté du Kurdistan irakien qu'il a fui il y a un an et comparé aux conditions de vie dans la «jungle», les locaux de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), situés dans la banlieue industrielle d'Istres (Bouches-du-Rhône) ont des airs de palace. C'est ici, dans le bâtiment labellisé centre d'accueil et d'orientation (CAO), que le trentenaire et ses deux amis ont débarqué en décembre avec un groupe de réfugiés «recrutés» à Calais. Un long voyage en bus vers un ailleurs inconnu mais espéré meilleur, comme leur avait promis l'agent de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), qui les avait approchés. «Tous les jours ou presque, un type de chez eux passait dans la jungle pour nous dire qu'il fallait rester en France, que c'était mieux que l'Angleterre», raconte Azad, 31 ans, compagnon de voyage d'Aly.

Durant trois mois, chaque nuit, il a tenté de traverser la Manche, en vain. «Un jour, j'ai eu un accident au bord de la route, alors j'ai décidé d'arrêter, poursuit-il. C'est à cause de mes empreintes laissées en Suède que je voulais partir en Angleterre. Là-bas, ce n'est pas un problème. A Calais, on m'a dit que si je partais en CAO, ce serait réglé.» Depuis novembre, les pouvoirs publics incitent les migrants de la jungle - qu'ils souhaitent démanteler - à renoncer à leur rêve d'Angleterre et à imaginer leur futur en France, laissant espérer une régularisation. Une promesse que les réfugiés du CAO d'Istres sont nombreux à évoquer. A chaque fois, le scénario est le même : des empreintes arrachées dans le pays européen où ils avaient échoué, l'arrivée à Calais pour passer outre-Manche, la désillusion et les difficultés de la vie dans la jungle… Lorsque, à bout, ils croisent un agent de l'Ofii en maraude ou tombent sur une des nombreuses affichettes incitant les migrants à quitter la jungle pour un CAO, l'offre est tentante. Au-delà de meilleures conditions de vie, c'est surtout la perspective de la levée de la procédure Dublin (1), et donc la possibilité de déposer leur demande d'asile en France, qui les fait espérer. Depuis décembre, ils sont ainsi 76 à être passés par le site istréen. La circulaire ministérielle présente les CAO comme «un lieu de répit» et sur ce point, les réfugiés n'ont rien à redire.

«Trahison»

Dès la descente du bus, les nouveaux arrivants sont pris en charge par les équipes de l'Adamal, l'association qui gère localement le CAO. «Notre mission, c'est la mise à l'abri des personnes, assurer leur hébergement et les accompagner dans leur demande d'asile», résume Catherine Frati, directrice de l'Adamal. Visite médicale, cellule psychologique, récits de vie, pointage de leur situation administrative… Cette dernière étape se fait lors d'une visite à la préfecture de Marseille. Là, émergent notamment les noms de ceux sous le coup d'une procédure Dublin, soit environ 80 % du public accueilli à Istres, selon l'association. C'est là que la situation se corse : contrairement à ce que les nouveaux arrivants avaient compris à Calais, à Istres, les procédures Dublin ne sont pas interrompues.

Une «trahison» des autorités, dénonce le Collectif de soutien aux migrants 13 : «Ces gens ne sont pas partis pour rien, relève Céline, membre du collectif. Dès le début, les CAO n'ont jamais été des centres de répit, mais plutôt des centres de tri. La réalité, c'est que le gouvernement voulait juste vider Calais. En dispersant la jungle, il voulait aussi disperser le problème.» C'est justement en tentant de rassembler des informations auprès d'autres CAO que le collectif s'est aussi aperçu d'une forte différence de traitement en fonction des préfectures : si certaines, comme à Marseille, appliquent strictement Dublin, d'autres choisissent d'invoquer des raisons humanitaires ou font traîner les procédures pour permettre aux réfugiés «dublinés» de faire leur demande d'asile en France. Une interprétation très disparate des circulaires ministérielles, qui entraînent en pratique des traitements différents selon les régions pour des situations similaires.

«Pour moi, la consigne est claire : centre d'accueil et d'orientation, ça ne veut pas dire régularisation, rétorque le préfet de la région Paca, Stéphane Bouillon. Nous appliquons le droit en vigueur, tout en tenant compte des critères humanitaires et en traitant les dossiers au cas par cas.» Pour preuve, selon lui, seuls deux «dublinés» passés par Istres ont pour l'instant été renvoyés dans un autre pays européen et huit dossiers seraient en cours d'instruction. Le Collectif de soutien aux migrants en compte plutôt sept depuis décembre et certains, au CAO, ont déjà reçu leur billet d'avion. Surtout, ces chiffres ne tiennent pas compte des nombreux «dublinés» - près de la moitié des personnes accueillies à Istres, qui ont préféré quitter le CAO pour ne pas courir le risque d'une expulsion… «Ce matin encore, un Iranien et son fils sont repartis à Calais, raconte Aly. C'est aussi ce que feront mes amis si ça ne marche pas pour eux. Là-bas, ils ont plus de chance. Pourquoi y a-t-il une telle différence de traitement alors que tous les dossiers finissent à Paris, à l'Ofpra [l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr] ? Le gouvernement doit réagir et rappeler la règle aux préfets.»

Si beaucoup choisissent de repartir à Calais, d'autres, comme Hussein, optent pour la clandestinité. Originaire du Darfour, cet homme de 29 ans, arrivé à Istres en novembre, a vite compris qu'il risquait d'être renvoyé en Italie où il a laissé ses empreintes. «Je ne comprends pas ce gouvernement, lâche-t-il, amer. Quand on est arrivés, on a fait des photos avec les autorités devant les journalistes, on se dit "Dieu soit loué, c'est fini"… Mes collègues de Calais ont pu déposer leur demande, et moi non ? Ce n'est pas une loi équitable.» Pour éviter le renvoi en Italie, il a choisi de partir se réfugier «au village», près de Marseille, en attendant la fin du délai d'expulsion. «La France a six mois pour le renvoyer, sans quoi, passé ce délai, elle doit examiner la demande d'asile, explique Elise. Mais pour ceux, comme Hussein, considérés comme en fuite, le délai passe à dix-huit mois.»

«Dubliné» en Italie

Mohamed n'a pas voulu fuir. En janvier, ce Soudanais dormait dans son lit du CAO de Buhl, en Moselle, quand la police a débarqué pour l'arrêter. Avant de rejoindre le CAO, Mohamed, arrivé par l'Italie, avait lancé sa procédure à Calais. Comme il ne s'est pas présenté à une convocation à Paris pour le suivi de son dossier, il est considéré comme fuyard. «L'association qui gérait le CAO m'avait conseillé de ne pas bouger, explique-t-il. Et comme je n'avais pas de quoi payer le billet de train jusqu'à Paris…» Placé en rétention, il est expulsé vers l'Italie. «Après avoir erré pendant trois jours, j'ai compris que je n'aurais aucune aide, alors j'ai décidé de retourner à Calais.»

Alors qu'il transite par Marseille, il est interpellé par hasard à la gare et placé en centre de rétention. Par la suite, il refusera trois fois son expulsion. «Je ne retournerai pas en Italie, assure-t-il. Quand j'ai débarqué là-bas, les policiers nous ont tapé dessus avec des matraques pour nous forcer à donner nos empreintes. Ils se sont comportés comme la mafia, ils nous ont traités comme des chiens alors qu'on venait juste demander l'asile ! Qu'ils me tuent, mais je n'irai pas.» Ces refus d'obtempérer pourraient lui coûter cher. «Il risque une interdiction du sol français, voire un renvoi au Soudan, alors que sa demande d'asile n'aura jamais été examinée», note Céline, du collectif. Libéré sous garantie de représentation, Mohamed pointe une fois par semaine au commissariat et attend dans l'angoisse son procès, prévu le 18 juillet. «Ça me rend fou, confie-t-il. Je n'arrive plus à me concentrer, ça tourne dans ma tête. Je pense à l'asile et à ce que ça signifie. J'ai risqué la mort pour arriver en Europe. Tout ça pour qu'ils se comportent avec moi de façon indigne, qu'ils me mettent en prison avec des criminels… Finalement, on en arrive à avoir les mêmes problèmes qu'au Soudan.»

(1) La procédure Dublin oblige tout migrant à faire sa demande d'asile dans le pays où il est arrivé.

Grande-Synthe : L'Etat reprend la main pour mieux fermer

Prendre le contrôle du camp humanitaire de la Linière, à Grande-Synthe (Nord), pour mieux le fermer, «à terme». Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, était sur place lundi pour signer, aux côtés de la ministre du Logement, Emmanuelle Cosse, du maire et de l'association de lutte contre l'exclusion Afeji, une convention permettant à l'Etat de prendre en main ce camp de cabanons de bois qui avait remplacé celui, boueux, du Basroch, à 2 km de là. Pour le vider, les pouvoirs publics veulent inciter les migrants à rejoindre les centres d'accueil et d'orientation (CAO) partout en France. Déjà «788 personnes» auraient choisi les CAO. La convention prévoit que «plus aucune entrée» ne peut avoir lieu sans autorisation de l'Etat et de la commune.