Faire de Paris une «ville refuge» : le mantra d'Anne Hidalgo depuis un an a pris un tour spectaculaire mardi, lorsque la maire de la capitale a annoncé l'ouverture, d'ici «un mois et demi», d'un camp humanitaire de réfugiés dans le nord de la ville. Le site retenu sera précisé «dans les jours qui viennent». Il se trouvera «intra-muros», un «symbole important» selon son cabinet, et devrait être composé d'habitations modulables, de type chalet en bois.
«Coupable». Cette annonce soudaine illustre les tensions croissantes entre Paris et l'Etat. «On fait face depuis un an et demi à un flux de migrations sans précédent, explique-t-on dans l'entourage de la maire. On a dû aller bien au-delà de nos compétences. Et malgré des courriers et des communiqués réguliers, on a repris depuis trois mois cette triste habitude de voir des campements dans Paris.»
Ces dernières semaines, plusieurs évacuations ont eu lieu dans des camps de fortune du nord de la capitale, notamment sous le métro Stalingrad et au lycée Jean-Jaurès, dans le XIXe. Plusieurs milliers de personnes ont pu bénéficier des opérations de relogement. Mais les capacités d'hébergement en Ile-de-France restent insuffisantes pour faire face à un flux d'arrivées continu - une centaine par jour dans la capitale -, qui va encore s'accentuer avec la période estivale. En attendant d'être orientés vers les lieux adéquats, les migrants sont donc contraints de s'entasser dans des bidonvilles où les conditions sont déplorables. Actuellement, le point de tension se situe dans les jardins d'Eole, une vaste esplanade du nord de Paris où la population (Soudanais, Erythréens, Afghans… autant de réfugiés potentiels) est passée en dix jours d'une cinquantaine de personnes à près de 800. Evoquant la «boue», les «rats», Anne Hidalgo a jugé la situation «ni acceptable ni tenable». «L'Europe n'est pas à la hauteur de son histoire et notre pays non plus, a-t-elle martelé. Nous avons un devoir d'humanisme. Dans dix ans, quinze ans, je veux pouvoir me regarder dans la glace et ne pas me sentir coupable de non-assistance à personne en danger.»
Dans ce dossier, les pouvoirs publics, tant au niveau local que national, ont tous peu à peu évolué. Il y a un an, alors que la France semblait découvrir l'ampleur de la crise migratoire et humanitaire autour de la Méditerranée, les évacuations se faisaient encore dans une relative improvisation. Souvent, les migrants étaient envoyés dans des hôtels aux quatre coins de l'Ile-de-France, isolés et parfois privés de nourriture. Le dispositif, s'il s'est rodé, demeure toutefois insuffisant selon la maire. «Il est temps de passer à la vitesse supérieure et d'apporter des solutions dimensionnées», a-t-elle annoncé.
«Vigies». La première urgence est donc d'accueillir ces exilés «dignement», dans un «campement conforme aux normes de l'ONU et du HCR». Pour ce faire, la mairie dit s'être inspirée de l'initiative de Damien Carême, l'édile écologiste de Grande-Synthe (Nord), qui a ouvert unilatéralement un camp humanitaire de 1 500 places cet hiver, sans le concours de l'Etat. Hasard du calendrier, le campement de la Linière a reçu lundi la visite de Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur, qui s'est engagé à reprendre la gestion du site. En fera-t-il de même à Paris ? Sollicitée par Libération, Beauvau a indiqué n'avoir «aucun commentaire à faire sur l'initiative de Mme Hidalgo, qui relève de la libre administration des collectivités locales». Le cabinet de Cazeneuve a aussi assuré que l'Etat «prend ses responsabilités pour fluidifier un dispositif national cohérent».
Anne Hidalgo, de son côté, «espère que l'Etat sera partenaire». Mais elle se dit prête à se passer de ce soutien et à «prendre les devants», avec l'aide des associations («nos vigies») et des Parisiens. Pour l'instant, plusieurs sites font encore l'objet d'évaluations par les services techniques. L'endroit retenu devra «être suffisamment vaste pour accueillir plusieurs centaines de personnes», selon l'édile, qui n'a pas précisé la capacité exacte du dispositif. «Mais s'il faut plusieurs sites, nous le ferons», a-t-elle ajouté.
Ce premier campement humanitaire aura pour objectif d'offrir un hébergement digne et un accueil de jour, destiné à orienter les exilés au bout de quelques semaines vers les dispositifs adéquats. C'est cependant sur ce point que la politique d'Anne Hidalgo pourrait atteindre ses limites. Car s'il salue l'annonce de la création de ce camp humanitaire, Pierre Henry, le directeur général de l'association France Terre d'asile, rappelle aussi la nécessité de «changer de braquet». «On peut enregistrer 14 000 demandes d'asile par an à Paris. Or, le rythme actuel est deux fois plus élevé. Sans un dispositif cohérent national, l'initiative d'Anne Hidalgo sera vite confrontée à une embolie.»
Photo Stéphane Remael