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Libération
Décryptage

Insémination post-mortem : le Conseil d'Etat donne son accord… exceptionnel

La plus haute juridiction administrative a accédé ce mardi à la demande d'une jeune veuve Espagnole qui souhaitait récupérer les gamètes de son défunt mari, conservés en France, pour se faire inséminer en Espagne. Pour autant, cette décision ne fera pas jurisprudence.

Micro-injection par pipette d'un spermatozoïde dans un ovocyte. (Photo Marcel Mochet. AFP)
Publié le 31/05/2016 à 17h10

La semaine dernière, il n'y avait encore qu'une «lueur d'espoir» pour ses avocats. L'horizon s'est carrément éclairci ce mardi : le Conseil d'Etat a accédé à la demande de Mariana Gonzalez-Gomez-Turri, jeune veuve Espagnole qui souhaitait récupérer les gamètes de son défunt mari, conservés en France, pour se faire inséminer en Espagne. Le Conseil a donc choisi de suivre l'avis favorable rendu vendredi par la rapporteure publique, Aurélie Bretonneau, qui avait mis en avant la situation «exceptionnelle» de la requérante. Celle-ci souhaitait tout mettre en œuvre pour devenir «la maman de l'enfant de l'homme de [sa] vie», malgré le décès de celui-ci l'été dernier, comme elle l'a récemment expliqué à France 2.

Mariana Gonzalez-Gomez, espagnole, rencontre son compagnon, Nicola Turri, italien, alors qu'ils travaillent tous deux dans un restaurant londonien. Le couple est installé à Paris depuis 2013 lorsque Nicola déclare un cancer. Face à la menace que la chimio fait peser sur sa fertilité, il décide, à titre préventif, de faire congeler son sperme dans l'espoir d'avoir un enfant avec sa compagne via l'assistance médicale à la procréation. Sa semence est conservée au sein du Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) de l'hôpital Tenon, dans le XXarrondissement de Paris, où il est soigné.

Mais après une rémission, le jeune homme doit faire face à une leucémie. Il décède le 9 juillet 2015 à l’âge de 30 ans, trois semaines après avoir épousé sa compagne, mais avant d’avoir pu entamer avec elle le processus d’insémination. Après sa mort, Mariana Gonzalez-Gomez-Turri repart s’installer en Espagne, où l’insémination post-mortem est autorisée, et entame les démarches nécessaires au transfert des gamètes de son époux entre les deux pays. C’est là que les choses se corsent : face au refus de l’administration française, la jeune femme en appelle au tribunal administratif de Paris, qui la déboute. D’où son recours devant le Conseil d’Etat. Que peut changer le feu vert rendu ce mardi ?

Que dit la loi française ?

La France s'oppose à l'insémination post-mortem, en vertu des lois de bioéthique, depuis 1994. Selon l'Agence de la biomédecine, qui met en avant la fragilité de la veuve dans un tel contexte, cette pratique vient en effet heurter «l'intérêt de l'enfant qui serait délibérément privé de père». C'est en vertu de ce principe que la requérante a d'abord été déboutée par la justice administrative. L'assistance médicale à la procréation n'est donc légale qu'en cas d'infertilité dans un couple en âge de procréer ou de risque de transmission d'une maladie particulièrement grave. «La séparation des membres du couple ou la mort de l'un d'eux empêche l'autre membre de poursuivre seul le projet de conception, rappelle le Conseil d'Etat dans sa décision. Et de poursuivre : En outre, l'article L.2141-11-1 du code de la santé publique interdit l'exportation de gamètes conservés en France pour un usage qui méconnaîtrait les principes bioéthiques de la loi française.»

En Espagne en revanche, la procédure est autorisée dans un délai de douze mois après le décès du conjoint, si celui-ci avait expressément donné son accord. Or, dans son testament, cité par le Monde, Nicola Turri écrivait : «Avant de ne plus pouvoir écrire, je tiens à vous donner des indications sur la seule chose qui compte aujourd'hui dans ma vie et l'instabilité de mon futur, les paillettes [de sperme, ndlr]. Je voudrais que Mariana puisse en faire l'usage qu'elle désire si (mais [ça] n'arrivera pas !! parce que j'y crois, je peux guérir) cette leucémie devait être fatale pour moi.»

Comment expliquer l’accord du Conseil d’Etat ?

«C'est une situation exceptionnelle au sens premier du terme», souligne MDavid Simhon, l'un des avocats de la jeune femme. Pour lui, «l'absence de véritable lien avec la France» est l'une des motivations du Conseil d'Etat : c'est parce que Nicola Turri est tombé malade sur le sol français que ses gamètes s'y sont trouvés conservés, presque par un mauvais hasard. D'où le blocage : si le jeune couple avait été établi en Espagne au moment où a été diagnostiqué le cancer, ce combat n'aurait pas eu lieu d'être. La requérante et ses conseils s'appuyaient sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif au «respect de la vie privée et familiale». Le Conseil d'Etat, lui, a estimé que la loi française n'est pas contraire à cette convention, mais a toutefois reconnu que pour la «situation très particulière de l'intéressée […], l'application de la loi française entraînerait des conséquences manifestement disproportionnées».

Qu’est-ce qui va changer ?

Côté formalités, le Conseil d'Etat a donné sept jours, à compter de mercredi, à l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) et à l'Agence de la biomédecine pour procéder au transfert de la semence du défunt, sans prononcer d'astreinte financière. Et la loi ? «Cette décision ne fera pas jurisprudence quant à l'insémination post-mortem», tranche MDavid Simhon, qui insiste sur le caractère exceptionnel, presque unique, du cas de sa cliente, notamment en raison de sa nationalité. «Je me souviens par exemple d'un cas en 2011. Une Française qui avait été déboutée de sa demande de transfert de gamètes vers l'Espagne», appuie l'avocat. D'autres requêtes de ce type ont été formulées en France ces dernières années, sans succès. Une seule femme avait obtenu gain de cause. En 1984, Corinne Parpalaix réclame au Cecos du Kremlin-Bicêtre le sperme congelé par son mari trois ans avant son décès. L'hôpital s'y refuse et la jeune femme en appelle à la justice. Celle-ci lui donne gain de cause, mais la veuve ne parvient pas à tomber enceinte. C'est à la suite de ce cas spécifique que les lois de bioéthique ont écarté toute possibilité d'insémination post-mortem sur le sol français.