Ni confidences calibrées ni fuites désordonnées. Cette fois, François Hollande a été très clair : il ne laissera à personne le loisir d'annoncer à sa place les décisions en matière de budget et d'investissement publics qui seront au cœur de son discours devant l'Association des maires de France (AMF) jeudi après-midi. D'où un black-out total de l'Elysée, Matignon et des ministères concernés. Face à des édiles remontés comme des coucous contre la nouvelle baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui s'élève à 3,7 milliards pour 2017 (dont deux concernent directement les communes), le chef de l'Etat entend soigner la mise en scène pour ce dernier discours avant la présidentielle. Un peu de «storytelling», comme lundi quand il a reçu demi-douzaine de prix Nobel à l'Elysée pour leur annoncer qu'il renonçait à une annulation prévue de 134 millions d'euros des crédits de recherche alors que la décision datait d'une réunion interministérielle à Matignon la semaine dernière. «Tout le monde a compris que le Président voulait garder la surprise totale» sur ses annonces, souffle un élu au cœur des négociations.
«ça ne sera pas 'vannes ouvertes'»
Comme sur la loi travail, certains membres du premier cercle hollandais se sont aussi épanchés dans les médias, préparant le terrain d'atterrissage. Maire de Tulle depuis que Hollande est à l'Elysée et par ailleurs conseiller présidentiel, Bernard Combes a appelé l'Etat à être «plus juste dans la distribution» de la DGF pour ne pas plomber les collectivités les plus vertueuses. «Il faut donner plus à ceux qui ont davantage de besoins […]. Je suis conseiller à l'Elysée. Je suis bien placé pour parler, mais serai-je écouté», a fait mine de s'interroger Combes mardi sur Europe 1. Le coût de la réforme des rythmes scolaires ainsi que la répercussion de la hausse du point d'indice des fonctionnaires font aussi des dégâts dans les budgets des collectivités. En année pleine, l'augmentation des agents de la fonction publique territoriale coûtera 640 millions d'euros, qui s'ajoutent au tour de vis imposé depuis quatre ans par Bercy.
Le discours présidentiel «répondra aux attentes des élus qui souhaitent une marge de manœuvre supplémentaire pour investir», se contente d'expliquer l'entourage présidentiel. François Hollande et Manuel Valls étaient censés trancher lundi lors de leur déjeuner hebdomadaire, mais rien n'a filtré. Mercredi, à l'Elysée, on confessait être «à la recherche du bon curseur entre la volonté d'accompagner les collectivités territoriales dans un contexte de croissance qui repart et la crédibilité de notre parole publique prônant une gestion sérieuse» du budget.
Ne pas être accusé une fois de plus par la droite de «sortir le carnet de chèques» à un an de la présidentielle semble également peser sur l'arbitrage présidentiel. «Tu donnes, tu fais des cadeaux. Tu ne donnes pas, tu étrangles les collectivités locales», résume un conseiller de l'exécutif. Pour toutes ces raisons, le choix «ça ne sera pas 'vannes ouvertes'», explique un grand élu hollandais. D'où l'idée d'une dotation de l'Etat variable selon la taille des communes qui pourrait donc être une solution de compromis.
Apéritif à l’Elysée
Mardi dernier, lors d'un apéritif à l'Elysée, le chef de l'Etat a entendu les doléances d'une demi-douzaine de maires socialistes (petites et grandes villes, banlieue parisienne et province confondues) qui ont tous réclamé un «gros geste» de l'Etat. Autour d'un Perrier, Hollande a fait du Hollande. «Ne me dites pas ce que je dois dire mais ce que vous voulez entendre», a entamé le Président dans un sourire, prenant des notes sans rien laisser paraître de ses intentions. «S'il parle de son choix avec une seule personne avant son discours, ce choix fuitera», justifie a posteriori François Rebsamen, président de la Fédération nationale des élus socialistes, à l'origine de la rencontre informelle de la semaine dernière.
«Il faut étaler le troisième tiers de la baisse triennale de la DGF sur deux ans, 2017 et 2018, voire l'annulation d'une partie de cette baisse qui nous plombe», plaide le maire de Brest, François Cuillandre, qui faisait partie des convives. La baisse de la DGF se traduit par 2 millions d'euros en moins dans le budget de sa ville, 5 millions pour celui de la métropole. Mardi soir sur RFI, François Rebsamen a évoqué un étalement sur trois ans. De son côté, le président (LR) de l'AMF, François Baroin a fait graduellement monter les enchères ces derniers jours, pour finalement réclamer la suppression pure et simple de la tranche 2017. «On n'est pas à un concert de pleureuses qui allons quémander de l'argent auprès de Bercy ou auprès de l'Etat. C'est de l'argent que l'Etat doit aux communes», clame le sénateur et maire de Troyes. La tournée médiatique du patron de l'AMF agace au plus haut point au sommet de l'Etat, où l'on se plaît à rappeler qu'il est proche de Nicolas Sarkozy... qui, comme tous les candidats à la primaire LR, prévoit une réduction des dépenses publiques de 100 milliards d'euros sur le prochain quinquennat. «Bonjour la cohérence», lâche un conseiller élyséen.
«Noisettes»
De son côté, le ministère du Budget juge l'AMF beaucoup trop alarmiste, faisant remarquer que les collectivités ont généreusement abondé leur épargne de précaution en 2015. Déposées au Trésor, ces «noisettes» mises de côté sont passées de 30,6 à 35,1 milliards d'euros l'an dernier, ce qui fait dire à Bercy que les collectivités vont moins mal qu'elles ne le disent. Ce qui peut être vrai pour les grandes villes mais totalement faux pour les petites. S'il reconnaît qu'il y a encore des efforts à faire du côté des dépenses de fonctionnement, l'ancien président de l'Association des départements de France (ADF) Claudy Lebreton met en garde l'Etat sur les conséquences à long terme de ses choix budgétaires : «Les élus ont le choix entre renoncer aux investissements d'entretien – le patrimoine public se dégrade, les routes seront encore plus chères à réparer si on tarde – ou renoncer à la construction de nouveaux équipements, des écoles ou des ponts. C'est tout l'avenir qui trinque.» Président (PS) de l'Association des petites villes de France (APVF), Olivier Dussopt attend donc «à tout le moins un geste significatif sur la baisse de la DGF et la reconduction des mesures de soutien à l'investissement» d'un montant d'un milliard d'euros.