Pour une fois - c'est presque un exploit -, le secret a tenu jusqu'à la dernière minute. Attendu de pied ferme par les maires réunis en congrès à Paris, François Hollande s'en amuse et fait même durer le suspense sur ses décisions budgétaires pendant une bonne vingtaine de minutes. Dans un gouvernement où les couacs se succèdent et où les informations fuitent par paquet de douze, «les ministres ont sûrement apprécié les compliments de François Baroin sur leur silence et le respect de la parole présidentielle», entame le Président. Cette première tentative d'humour tombe totalement à plat. La salle, qui attend des gestes significatifs sur la baisse prévue des dotations de l'Etat, reste de marbre, glaciale. Loin du discours technique, Hollande enchaîne sur la grandeur de la France, l'accueil des migrants qui «fait partie de l'image de la France, de l'idée de la France», le rôle irremplaçable des maires «références d'autorité et d'humanité» et la réaction des Français après les attentats de 2015. Lancé en plein conflit social autour de la loi travail, son éloge de la «France rassemblée» avec des «R» roulés a des accents de campagne électorale très nets.
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Mais s'il brosse les édiles dans le sens du poil, Hollande n'entend pas pour autant renoncer à la trajectoire de redressement des finances publiques. Tout en disant les avoir entendus sur leurs difficultés et après avoir salué leurs efforts d'adaptation constants, il les prévient : «Vous êtes d'abord de France, en France et vous travaillez pour la France sans savoir si l'un reçoit plus que l'autre alors que nous devons être ensemble.» Ses décisions fleurent bon la synthèse hollandaise : couper court aux accusations de la droite qui se fait fort de l'accuser soit de sortir son «carnet de chèques» en vue de 2017, soit d'étrangler les collectivités locales. Tout en faisant un vrai geste pour les communes, que la baisse des dotations met en difficulté alors que la croissance revient timidement en France.
«Ça, c’est mon Hollande»
Il annonce donc qu'il divise par deux la baisse prévue de la dotation globale de fonctionnement (DGF) prévue pour 2017, qui s'élèvera donc à 1 milliard d'euros au lieu de deux. Le gouvernement reconduit également le fonds de soutien à l'investissement public lancé en 2016 et remet 200 000 euros au pot, soit un total de 1,2 milliard pour l'an prochain. Soit, selon l'Elysée, un geste «raisonnable et crédible» de 2,2 milliards - qu'il faudra bien trouver ailleurs pour boucler le dernier budget du quinquennat. Au passage, Hollande précise que le fonds pour l'investissement sera pour moitié dévolu aux communes petites et rurales, les plus en difficulté. Soit 600 millions d'euros : de quoi mettre de l'huile dans les rouages auprès de nombreux élus locaux, ce qui n'est jamais inutile avant une campagne. Dans les travées de la Porte de Versailles, les applaudissements sont timides et des huées commencent à monter. «Certains auraient donc voulu que je ne prenne pas ces décisions», réplique le chef de l'Etat du tac au tac. «Ça, c'est mon Hollande, l'homme politique que je connais, le président qui tranche à l'hémistiche», s'enflamme un conseiller présidentiel une fois le discours bouclé.
Juste avant lui à la tribune, la pression était montée au fil des discours. Anne Hidalgo, qui parle services publics et investissements «pour l'avenir», prévient François Hollande d'emblée : «Nous arrivons au bout des efforts que nous pouvons faire.» Mais c'est surtout le président de l'Association des maires de France (AMF), François Baroin, qui s'en donne à cœur joie, réclamant une annulation pure et simple de la baisse de la DGF mais également la compensation de toutes dépenses nouvelles pour les communes par l'Etat. Applaudissements garantis dans la salle. Cet argent, «ce n'est pas une forme d'obole que nous devons à l'Etat», poursuit le sénateur-maire LR de Troyes, qui dénonce un troisième tiers de la baisse triennable «intenable et menée trop vite», ce qui revient à demander à tout le moins son étalement. Sans jamais élever la voix, qu'il a grave et veloutée, Baroin déroule ses «deux ou trois vérités simples avant d'aborder nos revendications» et multiplie les piques. A la gauche en général et Hollande en particulier, en qui il salue «le remarquable maire d'un département non moins remarquable», la Corrèze. Hollande simple élu local ? C'est surtout pour Baroin un moyen d'adresser un message à son mentor en politique, Jacques Chirac.
Se différencier de la droite en campagne
Sortant visiblement de son discours écrit, Hollande n'est pas en reste dans les allusions et l'ironie, truffant son discours de flèches destinées à Nicolas Sarkozy, ricochant via François Baroin, qui doit officialiser son ralliement à l'ancien chef de l'Etat une fois fini le Congrès de l'AMF. Les déficits et la dette étaient «insoutenables» quand la gauche est arrivée au pouvoir en 2012, «et je sais que ce n'était pas la faute des collectivités territoriales». Il célèbre la réforme territoriale mise en place par son gouvernement et «dont vous parliez dans tous vos congrès et qui n'avait jamais été faite [avant]». Le chef de l'Etat salue aussi le retour, même timide, de la croissance, défend la revalorisation du traitement des enseignants et la réforme des rythmes scolaires, rend hommage aux fonctionnaires qui travaillent avec les maires à «maintenir le tissu social». Autant de façons de se différencier de la droite en campagne pour la primaire. Malgré les manifestations et les blocages, Hollande sourit : «Aujourd'hui, et parfois je comprends qu'on me le reproche, les résultats sont là.»