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Libération
A la barre

Interné d’office, Me Ripert dénonce un «traitement inhumain»

ParFrançois Carrel
(à Grenoble)
Publié le 02/06/2016 à 20h31

L'audience restera dans les annales. Ce jeudi, la cour d'appel de Grenoble devait examiner sur le fond les poursuites disciplinaires engagées contre l'avocat historique d'Action directe, Bernard Ripert, 65 ans. Examen qui a tourné au procès de la cour et de ses magistrats. Suspendu provisoirement par cette même cour le mois dernier, alors que le conseil régional de l'ordre l'a relaxé des manquements qui lui sont reprochés, Me Ripert l'affirme : il risque la radiation définitive.

«Ego». Dans la petite salle d'audience bondée, près de 50 avocats sont venus de toute la France pour soutenir leur confrère et, pour certains, plaider sa cause. Dans le couloir, près de 150 personnes scandent «procès public !» Parmi eux, Jean-Marc Rouillan, militant d'extrême gauche venu «soutenir son avocat».

L'intéressé fait son entrée, fendant la foule de ses confrères… à reculons. Sur sa robe, il porte le triangle rouge utilisé par les nazis pour marquer les prisonniers politiques et les résistants. C'est le dos tourné à la cour qu'il prend la parole pour évoquer d'une voix de stentor les rocambolesques poursuites dont il a fait l'objet dans le cadre d'une procédure pour «intimidation envers un magistrat» - l'un des membres de cette même cour. Si «je vous tourne le dos, c'est qu'il m'est interdit de regarder un magistrat plus de deux secondes. Pour l'avoir fait, j'ai été violemment arrêté chez moi, placé en garde à vue puis interné en hôpital psychiatrique, décision scandaleuse et abusive».

Le président l'assure de son «regard bienveillant, ouvert et attentif», et Ripert se retourne. Pendant deux heures et demie, sans notes, il soumet la cour à un réquisitoire virulent et étayé, dénonçant les «graves irrégularités et illégalités» des procédures menées contre lui, demandant la récusation des magistrats de la cour et celle du procureur général de la cour d'appel, l'accusant d'avoir, «pour satisfaire son ego et son besoin de vengeance personnelle», poussé les magistrats à le suspendre alors même qu'une telle suspension n'est pas de leur ressort.

«Pressions». Me Ripert dénonce «le harcèlement, les persécutions, les tortures psychologiques et le traitement inhumain» qui lui sont infligés. Il interroge la cour, après avoir dénoncé des «mensonges» et les «faux» du procureur : «Allez-vous encore le suivre lorsqu'il va vous demander ma radiation ? C'est lui qui doit être radié.» La foule massée dans le couloir est silencieuse, à l'écoute du vieil avocat survolté. Evoquant son internement, il affirme : «La psychiatre qui m'a examiné […] m'a avoué avoir subi des pressions.» Après une intervention du président du Syndicat des avocats de France en faveur de Me Ripert, le procureur répond en quelques mots : «Je n'ai aucune inimitié envers Me Ripert, je demande le respect pour le procureur», avant de déclarer les demandes de récusation «irrecevables». La cour rejette la récusation du procureur et refuse de se prononcer sur sa propre récusation.

Le ténor du barreau parisien, Me Thierry Lévy, reprend alors la charge, plaide le dépaysement de l'affaire en pointant une cour «partiale» qui «avilit l'institution judiciaire». Solennel, il poursuit : «Toutes ces décisions concourent au même but : faire taire un avocat qui dérange, […] ce n'est pas un acte contre une personne, c'est un acte contre l'ensemble de ceux qui sont soumis à la justice. Il vous déplaît, monsieur le procureur, qu'un avocat trouble les audiences et gène le travail des magistrats ? Il n'a pourtant pas d'autre rôle. Nous ne sommes pas dans un régime totalitaire. Nous sommes ici pour vous exprimer notre indignation.»