Menu
Libération
Coup de gueule

L’ex-chef du Trésor à la tête d’un fonds d’investissement : légal mais peu moral

Bruno Bézard, le 6 juin 2013 à Pantin, en région parisienne (Photo Thomas Samson. AFP)
publié le 3 juin 2016 à 20h11

Ce qui est légal est-il nécessairement acceptable ? Le grand feuilleton franco-français du pantouflage (ces hauts fonctionnaires qui partent travailler dans le privé) vient de connaître un nouvel épisode, cette fois spectaculaire, donc potentiellement sulfureux. Le patron du Trésor, Bruno Bézard, un des hommes les plus importants de la haute fonction publique française, vient de décider de quitter Bercy pour prendre la tête d’un fonds d’investissement franco-chinois. Les qualités professionnelles de Bézard (vantées à gauche comme à droite) ne sont pas ici en question. Ni la légitimité d’un homme qui, après avoir passé trente ans dans l’administration, a décidé de basculer dans le privé.

Pour autant, le cas Bézard soulève au minimum de sérieuses questions. Interpellé par le député LR Jacques Myard, au nom de «l'éthique du service public», Michel Sapin a fait mine, lui, de ne pas voir le problème. Le ministre des Finances s'est donné le bon rôle, en rappelant à l'opposition que, contrairement à l'épisode de la nomination de François Pérol à la tête de la BPCE (le groupe Banque populaire - Caisse d'épargne) sous l'ère de Nicolas Sarkozy, le gouvernement a respecté l'avis de la commission de déontologie. Commission qui, en l'occurrence, n'a rien trouvé à redire au pantouflage de monsieur Bézard. Et pour cause, la loi française interdit à un fonctionnaire de se faire embaucher par une entreprise privée (française ou étrangère) qu'il aurait eue à «surveiller ou contrôler» ou pour laquelle il aurait «émis des avis» dans l'exercice de sa fonction. Donc oui, dans le cas qui nous préoccupe, il n'y a rien d'illégal dans ce départ. Mais oui, il pose problème. Cela tient d'abord à la fonction de Bruno Bézard. En tant que directeur du Trésor et ancien patron de l'APE, l'agence qui gère toutes les participations de l'Etat actionnaire dans les entreprises françaises, il détient, malgré lui, de vrais secrets d'Etat. Il connaît tout des forces et faiblesses de notre économie, de l'intimité du circuit de décisions au plus haut sommet de l'Etat. En mettant ses connaissances et son carnet d'adresses au service d'un fonds d'investissement, Bézard aura du mal à évacuer d'un revers de main toute accusation de conflit d'intérêts.

Il travaillait pour la France. Le voilà salarié d’un fonds franco-chinois (1). Et un fonds d’investissement n’est pas une entreprise tout à fait comme une autre. Il investit dans des PME, mais d’abord (et surtout) y fait de l’argent. Et pour cela, beaucoup d’entre eux sont prêts à tout : délocaliser la production, fusionner des entreprises, déstabiliser un management, voire s’accaparer certains brevets ou technologies… Le fait que ce fonds soit chinois ne change pas grand-chose au dossier. L’histoire récente regorge d’exemples de PME passées sous la férule d’un fonds anglo-saxon et sorties essorées. L’avenir et le rayonnement industriel de la France dépendent de la capacité de ses PME à se développer sur notre territoire, répète-t-on à juste titre. Avec le pantouflage de Bézard, on y verra, au minimum, une flagrante contradiction.

(1) Cathay Capital dont les fonds réunissent à 60 % des institutionnels et industriels français, à 20 % des fonds chinois et à 20% d'autres origines