Là-bas, le débordement du Loing a englouti des vies et provoqué des larmes. Ici, en plein Paris, la crue de la Seine attire les touristes et fait sortir les appareils photo. Sourire aux lèvres. Mais pendant ce temps, certains lieux de la capitale se préparent, eux, à une poursuite de la montée des eaux, jusqu’à 6,5 m dans la nuit de vendredi.
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10h30 Les bénévoles
Quai de la Rapée, les bénévoles de l'antenne de protection civile du XIIe arrondissement s'activent pour mettre à l'abri le matériel qui peut l'être. Leurs locaux, situés sous le métro, sont très endommagés et l'ampleur des dégâts reste«inchiffrable» selon l'équipe. «Niveau logistique, on est ruinés», précise René Rabiant, le président délégué, «effaré» par la montée fulgurante des eaux : «Même en anticipant, on s'est retrouvés totalement pris de cours.» Il regrette que «l'indicateur vigicrues ne donne pas d'information précise sur les évolutions du niveau de la Seine». Dans l'urgence, un relais de bénévoles a été mis en place pour procéder au nettoyage des locaux et mener une action de prévention auprès des civils. «Des curieux s'aventurent sur le muret du quai, entouré d'eau. Ce n'est pas très profond, mais là-dessous, il y a des poteaux… Si l'un d'eux tombe, il pourrait s'empaler ou se blesser.» La brigade fluviale les aide à sécuriser le périmètre, tout comme la Ville de Paris, qui a mis à leur disposition du matériel de nettoyage. Dans l'urgence, les solutions arrivent mais, comme le précise René Rabiant, «l'équipe improvise heure par heure, avec les moyens du bord», dans un climat qui reste jovial. En réalité, c'est surtout «l'après-crue» qui inquiète l'équipe. «L'antenne fonctionne avec des bénévoles, nous n'avons pas de subventions», souligne le président délégué, ajoutant que la seule solution sera de lancer un «appel aux dons».
11h30 Orsay en sécurité
La Vénus de Milo n'a pas encore bu la tasse, heureusement car c'est autour d'elle qu'on a entreposé, au rez-de-chaussée de l'aile Sully, des milliers d'œuvres sorties des réserves du Louvre. Les plus exposées à la crue. Dans la nuit de jeudi à vendredi, des agents du musée réquisitionnés pour l'occasion ont acheminé vers les étages des artefacts des départements des arts de l'islam, des antiquités grecques, étrusques, romaines et égyptiennes période copte. «Fragile», «Femmes drapées», lit-on sur les caisses et tessoniers remplis de fragments de terre cuite et d'amphores qui trônent et s'empilent dans le passage au milieu des bustes antiques. Ce sont d'abord les céramiques, les plus sensibles, qui ont été déplacées sur des palettes. Depuis 2002, les œuvres sont conditionnées et préparées à l'externalisation. Des mesures préventives pour le musée encore au sec, dont seule la fresque en trompe-l'œil de JR sur la pyramide reste accessible aux touristes dépités errant sur le parvis. «A ce jour, on ne sait pas quand le musée va rouvrir», a précisé son président-directeur, Jean-Luc Martinez. «La totalité des agents mobilisés doivent rester sur le site», indiquait une employée. En réunion au Louvre avec des responsables d'institutions culturelles publiques, la ministre de la Culture, Audrey Azoulay, visite les lieux, congratule les équipes (entre 300 et 500 volontaires au total et 52 pompiers en tout) et se félicite que «tout [se soit] bien passé au Louvre». Le musée restera fermé jusqu'au 7 juin inclus.
De l'autre côté de la Seine, pour éviter les risques d'infiltration, des œuvres ont été mises en lieu sûr au musée d'Orsay, qui demeure fermé au public jusqu'à mardi, a annoncé son président Guy Cogeval. Par mesure préventive également, la Bibliothèque nationale de France (BNF) a aussi fermé son site du Quai de la gare jusqu'à dimanche, tout comme le Grand Palais. Au Musée d'art moderne de la ville de Paris, dans le XVIe arrondissement, les «réserves de transit» ont été évacuées et quelques salles des collections demeurent fermées.
11h50 A l’ENM
La session de formation bat son plein à l'Ecole nationale de la magistrature, sur le quai aux Fleurs de l'île de la Cité. «Nous étions dans une salle du sous-sol quand nous avons vu de l'eau arriver», raconte un professeur. Par précaution, la classe est priée de gagner le premier étage pour poursuivre le cours normalement. «Nous avons coupé l'électricité aussi, mais il n'y a rien d'affolant», confie un des membres du personnel de l'établissement. Les formations se sont ainsi poursuivies le reste de la journée. Et d'ajouter, confiant que, «de toute façon, ce week-end ça devrait se calmer». Le professeur reprend le chemin de sa classe, le sourire aux lèvres, en lançant : «Nous ne nous sommes pas noyés !»
12h15 Les badauds près du Zouave
Les badauds qui s'amusaient à prendre des photos du Zouave du pont de l'Alma se sont vus soudainement écartés du trottoir par des dizaines d'agents en vestes fluo. Comme s'ils surgissaient de nulle part, d'étranges remparts obliques sont alors dressés autour d'un espace vert a priori banal. «Ici se trouve en fait le poste souterrain d'Enedis [filiale d'EDF, ndlr], explique Sylvian Herbin, directeur client de l'entreprise. Il alimente en électricité 80 000 de nos clients des VIIe et VIIIe arrondissements.»
Cette «aquabarrière» haute de 2 mètres, longue de 2,30 m, est installée dès que la Seine atteint un seuil d'environ 6 mètres. «Mais c'est vraiment à caractère préventif, rassure un agent en intervention, l'eau ne devrait pas arriver jusqu'ici.» Si, malgré les prévisions et les protections, des infiltrations atteignaient le poste électrique, des pompes sont d'ores et déjà en place, prêtes à rejeter l'eau au dehors. «L'aquabarrière» restera en place aussi longtemps que nécessaire.
13h10 "La Concrète" KO
La péniche événementielle de la Concrete est comme coupée du monde aujourd'hui. Le courant est trop fort pour ramer jusqu'à la berge. Le staff communique avec le reste du personnel depuis le pont Charles-de-Gaulle. L'électricité fonctionne grâce à un groupe électrogène externe, mais l'accès à la salle flottante est compromis : «On a mis en place une tyrolienne pour approvisionner la péniche», explique le gérant de l'établissement, assurant très bien comprendre que «la brigade fluviale a d'autres priorités». Les curieux s'arrêtent un instant, histoire de donner un coup de main, les applaudissements fusent lorsque les colis de nourriture arrivent à bord. «Franchement, c'est assez marrant d'improviser comme ça», rigole le gérant. Mais en dépit de cet élan ponctuel de solidarité, les jours à venir risquent d'être moroses à la Concrete : «Les soirées de vendredi et dimanche sont annulées jusqu'à nouvel ordre», crie un membre du personnel depuis la rambarde de la péniche !
14h12 La crainte de la boue
Trois jours maintenant que la quinzaine d'embarcations de la Compagnie des bateaux-mouches restent le long des quais qu'il faut désormais deviner, à deux pas du Pont de l'Alma. «C'est à cause du manque de hauteur sous les ponts et du courant plus fort», que l'établissement public Voies navigables de France a interdit toute navigation sur la Seine, explique Marco, le régisseur général de l'entreprise. Pas effrayé par cette crue de très forte ampleur, il n'est toutefois pas optimiste quant à la reprise rapide des croisières. «Ça va être un désastre quand l'eau va repartir, il y aura 20-25 cm de boue sur les quais. Pour 2 m d'eau, on avait déjà 5 cm de terre.» Alors, les bateaux-mouches ont anticipé, en réservant une entreprise de nettoyage pour la semaine prochaine.
14h20 C’est «joli»
Pont Saint-Louis. Nobutaka pose son chevalet et s'arme de son pinceau. Devant lui, les arbres ont les troncs entièrement sous l'eau. «Ça me fait penser à Venise. Je n'y suis jamais allé, mais c'est exactement l'image que j'imagine de la ville italienne» , sourit l'artiste en observant l'eau à fleur de quai. Aujourd'hui, il se sent inspiré par le paysage qu'il trouve «joli». En une quinzaine de minutes, la toile est remplie de couleurs. Amanda et Chris, venus du Danemark, n'avaient, eux, «pas entendu parler de la pluie, des inondations, ni même des grèves avant d'arriver à l'aéroport», confie la jeune femme en souriant. Surprise totale quand ils ont appris par mail la fermeture préventive du Louvre.
16h02 L’eau au plafond
«Il y a quoi, là ? Au moins deux mètres ?» s'enquiert Jeanne auprès de deux agents de sécurité, en poste devant les affaires qui flottent en bas des escaliers du pont Alexandre-III. Trois mois après sa prise de poste en tant que responsable commerciale du Faust, Jeanne doit faire face à un défi de taille. Les grandes portes du club parisien n'ont pas résisté à la pression de l'eau. «On ne pensait pas que ça monterait si haut, explique la trentenaire d'une voix blanche. Ça a commencé mardi soir, on nous a dit qu'il n'y avait pas de danger. Je suis revenue mercredi matin et c'était beaucoup plus haut.» L'équipe tente alors de sauver ce qu'ils peuvent. Mais ce vendredi après-midi, Jeanne n'a plus beaucoup d'espoir pour le reste de l'équipement. L'eau est presque au plafond. «Ce sera un peu la surprise quand ça redescendra, sourit-elle. Mais à l'aune des dégâts qu'elle a pu voir à la télévision dans les villes déjà en décrue, Jeanne «craint le pire», mais elle positive : «On a une super équipe. On va remettre tout nickel, au propre.»
17h03 La RATP en alerte
Branle-bas de combat à la RATP. Les prévisions de niveau de la Seine étant régulièrement révisées à la hausse, la régie se prépare à la fermeture éventuelle d'une vingtaine de stations, dont Châtelet-les-Halles ou Gare de Lyon. La totalité de la ligne 14 serait aussi condamnée, soit neuf stations supplémentaires. «Par précaution, trois premiers camions de matériel sont en cours d'acheminement vers Paris pour l'édification d'éventuelles protections. D'autres semi-remorques sont en cours de prépositionnement chez les fournisseurs», indique la régie par communiqué. «Ce sont des parpaings et de bâtardeaux (barrages mobiles) que l'on placera aux différents points sensibles du réseau, comme les entrées de station et les bouches d'aération, pour éviter que l'eau ne pénètre», précise une porte-parole de la RATP. Une fois acheminé, le matériel sera stocké et réparti dans différents lieux de la capitale. Si la Seine atteint 6,60 m, les protections seront installées. Or, selon la mairie de Paris, «le niveau des eaux de la Seine, à l'échelle d'Austerlitz, a atteint 6 mètres et pourrait atteindre 6,30 mètres, voire 6,50 mètres lors du pic attendu ce [vendredi] soir». Les stations Cluny-La-Sorbone et Saint-Michel sont déjà fermées en raison d'infiltrations.
Précision : A la suite de notre reportage dans la vallée du Loing, publié jeudi, le maire de Souppes-sur-Loing, Pierre Babut, a démenti catégoriquement que la municipalité ait fait payer les bouteilles d'eau à ses administrés. Il explique en outre que la présence d'animaux a en effet posé un problème un moment dans l'école du Boulay, mais que la situation s'est améliorée quand chiens et chats ont été réorientés vers un chenil.