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Pierre Laurent hésite, Mélenchon existe

A un an de la présidentielle, le secrétaire national du Parti communiste, réélu dimanche avec 81 % des voix, cherche encore à rassembler. Le fondateur du Parti de gauche, déjà en course, n’a pas l’intention d’attendre. «Libération» a passé une journée avec eux.
Lors du discours de Jean-Luc Mélenchon place Stalingrad, à Paris, dimanche. (Photo Albert Facelly pour «Libération»)
publié le 5 juin 2016 à 20h31

En 2012, ils ont réalisé un joli score lors de la présidentielle : 11,11 %. Ces dernières semaines, ensemble, ils arpentent le bitume pour s’opposer à la loi travail. Ce dimanche, ils étaient pourtant loin l’un de l’autre. Pierre Laurent, réélu à la tête du PCF, était à Aubervilliers, après quatre jours de congrès, cherchant des alliés à quelques mois de la présidentielle. Jean-Luc Mélenchon, candidat déclaré à l’Elysée, était lui à Paris, place Stalingrad, pour son premier meeting, tout en refusant de parler primaire ou coalition. Car le candidat, c’est lui. Point final. Une stratégie qui irrite Pierre Laurent. Chassé-croisé entre deux des têtes de la gauche de la gauche.

11 heures

Au micro, on annonce les résultats du vote. Pierre Laurent est réélu au poste de secrétaire national, avec 81 % des voix (8 % contre). La salle se lève et entonne un «tous ensemble, tous ensemble». Une militante râle un peu : «C'est l'Internationale qu'il faut chanter.»

11 h 55

Une délégation de frondeurs est à Aubervilliers : Christian Paul, Benoît Hamon et Marie-Noëlle Lienemann. «Ce matin la gauche est ici, ironise Paul qui plaide toujours pour une grande primaire de la gauche et des écologistes. Il faut privilégier les discussions pour une coalition de la gauche et mettre fin à l'émiettement.» Lienemann confirme. Un peu à l'écart, Hamon, s'adressant à ses amis, fait dans l'humour : «Venez les cocos, on va s'installer en tribune.»

12 h 15

Depuis son pupitre, Pierre Laurent lance un «chers amis, chers camarades» rassembleur. Puis entre dans le dur : «Nous voulons construire une majorité victorieuse sur un projet clair. Il faut que le peuple reprenne le premier rôle.» Première salve d'applaudissements. S'ensuit un long passage sur le projet de loi travail et les «premiers succès» de la mobilisation. Avec, au passage, un mot pour les syndicalistes, «fierté de notre pays», et notamment la CGT. Seules les mains s'animent, le ton, lui, reste monocorde. «Apaisé», dirait l'intéressé, qui s'essaye toutefois à quelques blagues sur Macron. Avant de s'attaquer à François Hollande, qui «ne peut pas plus être, en 2017, le candidat qui fait gagner la gauche». D'où son appel pour faire émerger un candidat qui «porterait à nouveau l'espoir». Sans nier les «obstacles», et notamment «la multiplication des candidatures». Celle de Montebourg, des écolos ou encore de Mélenchon, qui «a été notre candidat en 2017, en 2012, pardon», lâche-t-il. Un lapsus largement commenté dans l'assemblée. Et vite balayé par Laurent, qui conclut en faisant la promo de la consultation citoyenne lancée par le PCF, en amont des présidentielles.

13 heures

Après une Marseillaise, c'est enfin le tour de l'Internationale reprise en chœur. Les documents du congrès, déchirés en mille morceaux, volent en confettis. La salle se vide, direction la place du Front-Populaire, pour le pique-nique, «moment de fraternité», selon Pierre Laurent. Jean-Christophe, militant de Montrouge, suit le cortège. Bien qu'il croie en «l'unité entre PCF et PG, qui existe tous les jeudis quand les militants manifestent ensemble», il n'ira pas au rassemblement organisé par Mélenchon dans l'après-midi, à Paris. «Trop fatigué», botte-t-il en touche. Plus loin, deux jeunes communistes n'épargnent pas l'ex-candidat du Font de gauche en 2012 : «On n'est pas d'accord avec la candidature de Mélenchon. Sa démarche est irresponsable, centrée sur sa personne.» Eux aussi, «comme la plupart des militants», vont rester à Aubervilliers. Car «c'est ici qu'est la gauche debout. Elle n'est pas à Stalingrad».

14 h 20

Paris, la place Stalingrad se remplit pour le premier grand rassemblement de campagne des «insoumis» de Mélenchon. Sous une petite tente réservée à la presse, Alexis Corbière, porte-parole de Mélenchon, a le sourire : «Dans la période actuelle, il faut être dans l'action. Aujourd'hui, on montre aux septiques que nous sommes capables. Ici, il y a des gens qui veulent gagner en 2017.» Au fil des mots, il met en lumière son patron : «Avec Jean-Luc, c'est le retour de la belle politique. C'est vrai qu'il a une tête dure mais il est cohérent depuis des années, il n'a pas lâché malgré la violence verbale de certains éditorialistes.» Puis, avant de s'éclipser, il prévient : «Vous verrez, son discours sera tourné vers le futur.»

15 heures

Place du Front-Populaire, c'est ambiance fête foraine. Les gamins jouent à la pêche aux canards et le stand moules-frites est pris d'assaut. Attablés, quatre trentenaires refont le match. Le discours de Pierre Laurent ? «Entraînant, exaltant», juge l'une d'eux. Tous sont d'accord, ce qui compte pour l'heure, c'est le programme, et non la personne qui va les porter. «Ce n'est pas un super-candidat qu'il faut, mais des idées.» D'autant qu'il est trop tôt pour parler de la présidentielle : «Ce qui fait l'actualité, c'est le mouvement social, ce n'est pas 2017. Mélenchon, il est à côté de la plaque.»

15 h 10

Place Stalingrad, une femme, la trentaine passée, reste en retrait. Son enfant dort dans la poussette. Elle habite dans les parages. «Je suis une curieuse qui a voté pour Hollande en 2012 et qui ne sait pas quoi faire en 2017, donc je viens jeter un œil», explique-t-elle. Elle a toujours aimé «les discours et l'énergie» de Mélenchon. «Mon seul problème, ce sont ses positions sur la Russie et l'Europe qui ne sont pas très claires, mais il a encore un petit moment pour me convaincre.»

15 h 15

Devant la scène, prête pour les concerts, Pierre Laurent rejoint les musiciens et pousse la chansonnette. «J'adore ! Il faut du courage pour y aller», s'extasie une militante devant son secrétaire national, tout sourire, reprenant Un clair de lune à Maubeuge interprété par Bourvil. Un autre tente une analyse : «Il a eu l'air un peu mal à l'aise lors du dernier couplet, quand il faut dire le mot Kremlin…»

15 h 40

Jean-Luc Mélenchon arrive sur la grande scène et lâche «nous sommes 10 000 "insoumis"». Soit le double du chiffre de la police. La foule scande «résistance». Le candidat donne ses premiers mots aux grévistes, aux assignés à résidence et aux lanceurs d'alerte. Alors que les débats montent au sujet des violences policières, il rappelle qu'il est «contre la violence» et s'adresse à ceux «qui ont l'honneur de porter l'uniforme : on se déshonore en frappant un homme à terre». Puis demande des comptes au ministre de l'Intérieur.

15 h 55

Nicolas, Bastien et Aymeric sont venus de Lille pour «assister au point de départ du sacre vers l'Elysée» (sic). Dans un premier temps, il refuse de parler à la presse, «un ennemi» selon Nicolas. Bastien, la quarantaine, se marre et accepte de répondre aux questions. «Mélenchon est proche du peuple, il pense aux autres. Et franchement, il est fort. Que ça soit ses idées ou son style, il n'y a pas grand-chose à dire.» La différence entre Mélenchon et le PCF ? «C'est simple, d'un côté on a un homme libre et déterminé. De l'autre un parti qui surveille sans cesse ce que fait le Parti socialiste avant de prendre une décision.»

16 h 05

«J'ai commencé par régler le problème le plus simple : trouver un candidat. Et me voici», s'exclame Mélenchon sous les applaudissements. Il demande à ses «insoumis» de le suivre, de proposer des idées pour le programme et prévient : «Je ne vous demande pas de m'épouser ni de supporter mon caractère. Il n'est pas si terrible qu'on peut le dire.» Il s'adresse à tous les curieux : «Vous êtes tous les bienvenus. Je ne me soucie pas de votre carte de parti ni même pour qui vous avez voté avant.» Nicolas jette un œil à Aymeric, qui a voté Hollande en 2012 et lui lâche, ironique : «Tu vois, tu peux venir avec nous. Tout le monde t'accepte ici.»

16 h 30

Après quarante-cinq minutes de discours, le candidat Mélenchon conclut. Il cite le poète chilien Pablo Neruda. «Ne te laisse pas mourir lentement. Ne te prive pas d'être heureux.» Et comme lors du congrès du PCF, le mouvement se termine par la Marseillaise et l'Internationale. Si loin, si proche.