C’était il y a quatre-vingts ans. Dans la nuit du 7 au 8 juin 1936, sous la présidence du Conseil du premier socialiste à diriger un gouvernement français (Léon Blum), une CGT réunifiée depuis trois mois à peine et les représentants de la Confédération générale de la production française (CGPF), ancêtres du Medef et de la CGPME, signaient à Matignon des accords sociaux actant, alors, une révolution pour les droits sociaux des Français : semaine de 40 heures, 15 jours de congés payés, création de conventions collectives. Des mesures adoptées quelques jours plus tard (11 et 12 juin) par une majorité de députés socialistes, communistes et radicaux, rassemblés sous une éphémère bannière de «Front populaire».
Il y a un mois, à l'occasion justement du 80e anniversaire de la victoire du Front populaire aux législatives de 1936, François Hollande invoquait Léon Blum et son choix d'avoir «demandé» le pouvoir. «Telle est la continuité de l'histoire de la gauche du gouvernement, expliquait le président de la République en conclusion d'un colloque de la fondation Jean-Jaurès. Ne pas fuir devant l'adversité, ne pas céder devant elle, ne pas craindre le procès, le même instruit toujours par les mêmes, celui de la compromission avec un système qu'il faudrait toujours dénoncer pour ne pas avoir à le changer.» Le chef de l'Etat visait là ses voisins de gauche (Jean-Luc Mélenchon, les communistes, certains écologistes, la gauche anticapitaliste…) qui critiquent aujourd'hui son action, militent contre le projet de loi réformant le code du travail et refusent d'entrer au gouvernement depuis 2012 (2014 pour Duflot et les siens). Rappel utile : en 1936, le PCF ne participait pas non plus au gouvernement. Et s'il le soutenait, c'est parce que pris dans une «course de vitesse» avec l'extrême droite, alors au pouvoir en Allemagne et en Italie, les communistes français, en accord avec Moscou, avaient abandonné la stratégie «classe contre classe» pour privilégier celle de l'unité et faire barrage au fascisme montant. C'est aussi parce que socialistes, communistes et radicaux, même pour une courte période et avec difficulté, avaient su se mettre d'accord sur un programme (même imprécis).
Comment comprendre alors, quatre-vingts ans après, qu'un président de gauche qui veut laisser dans l'histoire sa marque du «compromis» - cette «énergie», qui «est dans la fonction même qu['il] exerce et que le Premier ministre doit également poursuivre», a-t-il déclaré dans ce même discours du 3 mai - est incapable d'en trouver un avec Martine Aubry et ses amis socialistes, Cécile Duflot, Pierre Laurent et autres, bien plus proches de lui que ne l'était Maurice Thorez d'un Léon Blum ou d'un Edouard Daladier ? Il est assez désolant de voir qu'une gauche, il y a quatre-vingts ans, a su se mettre d'accord sur le temps de travail et la création de conventions collectives au nom du «progrès» et que celle de 2016, dans un contexte inquiétant de montée de l'extrême droite en Europe, est incapable, au nom de ce même «progrès», pour des raisons de postures individuelles et de calculs politiques, de le faire sur la simple «hiérarchie des normes» et la démocratie sociale dans l'entreprise. Quand le Front national est à 25 % dans les urnes, ils en ont, pourtant, la responsabilité.