La loi Sapin 2 sur la transparence et la lutte contre corruption sera-t-elle l'occasion de lever le mystère sur les résultats économiques des filiales des grandes entreprises françaises à l'étranger ? Tel est en tout cas l'objectif des députés socialistes qui, en commission, ont adopté un amendement instaurant la «publicité du reporting pays par pays». De quoi pousser l'inquiétude des organisations patronales à leur paroxysme. Mardi dans les Echos, le Medef dénonce une «affaire grave» quand l'Afep, le lobby des grands groupes du CAC 40, évoque carrément un «suicide économique». Décryptage d'une polémique.
De quoi s’agit-il ?
Réclamée par les ONG dans le cadre de la lutte contre l'évasion fiscale, cette disposition conduirait les entreprises de plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires à publier des données stratégiques «pays par pays», comme le chiffre d'affaires, le bénéfice, les effectifs, l'impôt dû ou l'impôt acquitté. Une mesure destinée à monter en puissance puisqu'elle toucherait les entreprises de plus de 500 millions de chiffre d'affaires en 2018 et de plus de 250 millions de chiffres d'affaires en 2020. Jusqu'à présent, comme le préconise l'OCDE, seul le fisc a accès à ces données, dans le cadre des échanges d'informations entre administrations fiscales. Jeudi soir dans l'hémicycle, la majorité compte aller plus loin, en obligeant les entreprises françaises à rendre publiques ces informations, dans l'optique d'un contrôle citoyen. En cas d'adoption, la France serait ainsi l'un des premiers pays à adopter la publicité du reporting «pays par pays», qui fait l'objet d'une directive européenne qui rentre en vigueur en juillet 2017.
Pourquoi les entreprises protestent ?
Pour elles, une telle publicité équivaut à donner le bâton pour se faire battre : les détails qu’elles seront obligées de divulguer pourront être utilisés par leurs concurrents pour évaluer des filiales mises en vente, ou par leurs clients pour connaître leur marge et obtenir des rabais. Le tout sans que la réciproque ne soit vraie. Pour s’assurer du soutien de Bercy, elles font valoir qu’en cas de transparence totale, le fisc français n’aurait plus de monnaie d’échange pour obtenir des informations des administrations fiscales étrangères…
Qu’en dit le gouvernement ?
A Bercy, c'est l'embarras. En décembre, lors de la loi de finances, le gouvernement avait repoussé in extremis un amendement discuté nuitamment, instaurant déjà la publicité du reporting pays par pays. Peu disposé à prendre la gauche à rebrousse-poil, Michel Sapin y est officiellement favorable. Mais, nuance le ministre des Finances, à condition que ce reporting s'impose simultanément à tous les pays de l'Union européenne. Pour lui, il s'agit donc pour la France de se caler sur les dispositions de la future directive européenne. «Nous mettons en place au niveau européen des dispositions qui permettent de lutter contre cette optimisation fiscale, estime-t-il. Nous parlons des moyens de lutter contre l'optimisation fiscale. L'optimisation fiscale, ce sont des entreprises qui s'organisent - tout en respectant les lois - pour ne plus payer d'impôts. C'est anormal. Les entreprises doivent payer des impôts là où elles gagnent de l'argent.»
Qu'en disent les députés ?
L’ennui, c’est que cette directive européenne limite pour l’instant l’obligation de transparence du reporting pays par pays à certains secteurs, dont l’énergie, qui passe pour l'un des plus exposés au risque de corruption. Insuffisant, pour les députés PS. Face à leur détermination, le locataire de Bercy pourrait lâcher un peu de lest en donnant son quitus à l’amendement des rapporteurs voté en commission.