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Libération
EDITORIAL

Etat aveugle

publié le 8 juin 2016 à 20h21

Elles nous ont habitué à toujours défendre avec empressement leurs troupes, même quand elles abusent de la force. Le silence des autorités policières dans l'incroyable scandale des Stups que nous révélions il y a trois semaines n'en est que plus bruyant. Point de démentis officiels sur les drôles de méthodes des policiers chargés de lutter contre le trafic de drogue. Gênées aux entournures ? On le serait à moins. En revanche, elles ont choisi le «off» afin de discréditer un important témoin. Il serait un «mythomane». A cette pratique peu reluisante, nous opposons des faits et notre travail de journalistes. Nous nous sommes rendus dans la région de Marbella, en Espagne, point névralgique du scandale. Là encore, les éléments que nous en rapportons montrent que notre témoin est loin d'être un malade. Les policiers qui ont tenté de nous discréditer ont eu raison de rester anonymes. Ils seraient bien en peine de devoir manger, publiquement, leurs imperméables aujourd'hui. Leur autre défense, bien faible là encore, consiste à prendre les lecteurs de Libération et ses journalistes (mais c'est moins grave) pour des imbéciles. Sur l'air du «c'est un secret de polichinelle», on minimise les faits. A défaut de savoir, tout le monde a compris que la lutte contre le trafic de drogue nécessite des procédés parfois peu orthodoxes. Il convient d'adapter en permanence ces méthodes à celles des mafias, plus rapides à innover que les Etats à modifier leur droit. Tout le monde sait que les «indics» sont nécessaires. Mais toutes ces procédures (livraisons surveillées, coups d'achat, infiltrations) obéissent à des règles. En sortir sans respecter le code pénal n'aide pas la lutte antidrogue. Des enquêteurs nous racontent d'ailleurs l'insécurité juridique dans laquelle ils se trouvent. L'enquête de Libération ne vise qu'à cela : ouvrir les yeux d'un Etat aveugle sur les méthodes hors la loi de sa police et demander aux gouvernements, français et européens, de donner des moyens humains et juridiques pour lutter contre la grande criminalité. L'Etat était aveugle et sourd ; il ne peut plus rester muet.