Derrière la grille du centre de traitement de déchets d'Ivry-sur-Seine-Paris XIII, Jawad Mahjoubi fait les cent pas au soleil. Ce représentant de la fédération CGT des services publics est enthousiaste : la grève soutenue depuis le 30 mai par les égoutiers et les éboueurs de la plus grande usine de traitement de déchets d'Europe prend de l'ampleur. «Tous les principaux centres de collecte des déchets d'Ile-de-France sont bloqués», explique-t-il avant d'énumérer «Issy-les-Moulineaux, Romainville, Saint-Ouen… et même dans le sud de la France !» faisant allusion à l'incinérateur de Fos-sur-Mer, responsable des ordures de la ville de Marseille.
Mais mercredi, le blocage d'Ivry-sur-Seine-Paris XIII connaît une impulsion particulière. Depuis le 2 juin, égoutiers et éboueurs ont en effet empêché les bennes à ordure de sortir ou d'accéder aux deux garages du site, rendant effectivement impossible toute collecte de déchets. Et «les conducteurs sont rentrés dans la danse», se réjouit Jawad Mahjoubi. La mairie de Paris les y aurait encouragés tôt ce matin, en envoyant une petite dizaine de cars de CRS pour déloger la poignée de personnes barrant les accès. Face aux forces de l'ordre, l'équipe matinale des conducteurs de bennes s'est réunie en assemblée générale : plus de 95 % d'entre eux ont décidé de rejoindre le mouvement.
Agenda. Leur principale revendication est claire : il faut rejeter la loi El Khomri. «On sera impactés de plein fouet», s'insurge Frédéric Aubisse. Le secrétaire général de la CGT des égouts parisiens s'inquiète en particulier de l'avenir du statut de la fonction publique : «Nous les égoutiers, on part normalement à la retraite à 52 ans, avec de bonnes conditions. C'est-à-dire avec les mêmes conditions que ceux qui partent à 62 ans. C'est ça qui est directement menacé.» D'autres mesures de la loi attisent son angoisse, à l'instar du développement des contrats d'intérim.
«On essaye de nous faire culpabiliser pour l'Euro et pour l'image de Paris aux JO, surenchérit Jawad Mahjoubi , mais ce n'est pas nous les responsables.» Tous l'affirment : la compétition de football pourrait se dérouler simplement si le gouvernement revenait sur la loi travail. C'est d'ailleurs cet agenda qui a poussé Yannick, conducteur de benne, à réagir mercredi matin : «A l'approche de l'Euro, le mouvement se durcit. Je n'ai pas les moyens de faire cinquante jours de grève mais j'ai toujours dit que je serai là au moment venu.» Yannick fait partie de l'équipe de l'après-midi. Vers 14 heures, il sort de la seconde assemblée générale, où le score est plus élevé que celui du matin : une seule personne a refusé de faire grève. Forts de leur succès, ils affirment ne plus vouloir négocier. «La mairie de Paris essaye pourtant, s'amuse son collègue, ils auraient appelé déjà cinq fois ce matin.» Mais pour eux, «c'est trop tard». Les conducteurs de bennes du garage Victor-Hugo, situé à l'opposé du site, ont encore en travers de la gorge «le coup de ce week-end». Les conditions de la trêve négociée en période de crue, qui stipulaient l'évacuation des ordures des arrondissements sinistrés, n'auraient pas été respectées : non prévenus, certains de leurs «collègues ont été payés en heures supplémentaires pour tout enlever jusqu'à 4 heures du matin».
Soirée. Vers 16 heures, l'équipe de conducteurs de bennes qui travaille en soirée devra à son tour se prononcer lors d'une dernière AG. Mais les grévistes barrant actuellement la voie au garage ne doutent pas de leur soutien. «De toute façon, nous, on ira jusqu'au bout», s'exclame Vincent, qui n'envisage pas un arrêt de la grève tant que la loi ne sera pas retirée. «La balle est dans leur camp.»