Après 48 heures de garde à vue et un passage de dix minutes devant le procureur, Loïc Canitrot, un des initiateurs du mouvement Nuit Debout, est ressorti libre du palais de justice de Paris, ce jeudi, à la mi-journée. L'homme, accusé de violences volontaires n'ayant pas entraîné d'ITT (incapacité totale de travail), sera jugé le 5 août. Les faits reprochés (un coup au visage) se seraient produits lors d'une action d'une centaine d'intermittents dans les locaux du Medef mardi. La victime présumée, le chef de la sécurité de l'organisation patronale, a déposé plainte. Loïc Canitrot, intermittent et membre de la compagnie de théâtre Jolie Môme, conteste formellement ces accusations, et raconte les événements tels qu'il les a vécus.
Comment s’est déroulée l’action de mardi ?
Comme toutes les occupations, elle se passe dans une ambiance bon enfant. On arrive, on prend possession des lieux, on appelle la presse, on répond au standard des choses du genre «Medef occupé par les intermittents, bonjour», ou «Les patrons ne sont pas là aujourd’hui, il n’y a que les travailleurs». Un homme arrive, il est très insultant, méprisant. Par exemple, il me traite de «connard». Je pense au début qu’il s’agit d’un membre de la direction du Medef. Je demande à une collègue de le filmer, mais il lui arrache son téléphone. En réaction, un militant lui enlève ses lunettes, que je lui ai ensuite restituées, avec une branche manquante. Quant à lui, il a rendu le téléphone.
Quand le recroisez-vous ?
Je revois ce monsieur, qui s'avérera être le responsable de la sécurité du Medef, quelques minutes plus tard, à l'étage. Il est en train d'invectiver un autre intermittent. Je m'approche, les mains en l'air, pour calmer les choses. C'est là qu'il me donne un coup de pied dans les testicules, avant de s'en aller. Je suis à terre, attendant que ça passe. On appelle le Samu, qui m'invite à aller aux urgences pour passer une échographie. C'est là que la police arrive. Au début, elle me considère comme la victime. Mais alors que l'évacuation des locaux débute, deux agents en civil me font sortir par une porte à l'arrière et m'informent désormais que je suis à la fois victime et suspect. Puis, en arrivant au commissariat du VIIe arrondissement, on me signifie mon placement en garde à vue. Je dis que je veux porter plainte, mais on me répond que ce n'est pas possible pour l'instant. En clair, on me met dans la position du coupable au motif que «la procédure doit avancer».
Comment se déroule votre garde à vue ?
On me passe les menottes, on prend mes empreintes, prélève mon ADN. Je suis transféré à l'Hôtel-Dieu, où les examens médicaux montrent que je n'aurai pas de séquelles pour le coup reçu. Puis, je suis emmené au commissariat du XVe. Je ne subis pas de mauvais traitements. Mon sort n'est ni meilleur ni pire que celui des autres. Lors de ma confrontation avec le responsable de la sécurité du Medef, je suis sans lacets, mon pantalon tombe, je n'ai pas pu me laver. La position est déséquilibrée.
Que ressort-il de cette confrontation ?
Le responsable du Medef a affirmé qu'il aurait reçu plusieurs coups, dont un de moi. Il m'aurait reconnu car j'aurais été le plus proche. Je nie totalement l'avoir frappé. En revanche, lui a reconnu lors de cette confrontation m'avoir porté un «petit coup défensif». Je tiens aussi à dire que ses collègues de la sécurité ont fait leur travail de manière correcte, je n'ai rien à leur reprocher. Quant à nous, on a fait une action déterminée, spectaculaire, politique, mais certainement pas violente. On fait toujours attention à ça depuis plusieurs années dans nos préparatifs.
Après ces 48 heures, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Le système même de la garde à vue est infantilisant, méprisant jusqu’à l’avilissant, avec mon passage au dépôt du tribunal de grande instance de Paris mercredi soir. Là-bas, l’odeur est immonde, les plafonds tombent, j’ai préféré avoir froid que prendre les couvertures. J’ai passé 48 heures horribles, dans un système kafkaïen qui vous fait passer de victime à coupable dans des conditions de plus en plus mauvaises. En sortant, j’ai une pensée et un soutien particulier à tous les incarcérés du mouvement social en cours.