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Libération
Loi Sapin 2

La «convention judiciaire d’intérêt public», mesure de pragmatisme ou symbole d'une justice à deux vitesse ?

Adoptée par l'Assemblée mardi, le texte permet aux entreprises accusées de corruption d'éviter un procès en échange d'une amende. Un système pour plus d'efficacité ou une échappatoire pour les plus riches ?
L'amendement a été voté mardi dans le cadre de la loi Sapin 2. (Philippe Huguen. AFP)
publié le 9 juin 2016 à 17h01

Jadis appelée «transaction pénale», cette mesure controversée puis retoquée par le Conseil d'Etat, est revenue dans le débat législatif sous une nouvelle identité : «la convention judiciaire d'intérêt public». L'amendement, rédigé par la députée PS Sandrine Mazetier, à l'article 12 bis du projet de loi Sapin 2 sur «la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique», a été adopté mardi dans la nuit à l'Assemblée nationale. La version revisitée restaure, en substance, l'idée initiale : permettre aux entreprises soupçonnées de corruption de payer une amende et éviter un procès. Venue de la pratique américaine, cette transaction permet ainsi à une entreprise d'échapper à une condamnation synonyme d'exclusion de certains marchés publics. Concrètement, le procureur pourra, «tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement», proposer à une personne morale mise en cause pour corruption le versement d'une simple amende. Laquelle ne devra pas dépasser «30 % du chiffre d'affaires moyen annuel» sur les trois dernières années.

«Triche-fisc»

La nouvelle mouture du texte se démarque de l'avant-projet sur deux points. D'abord, les «victimes seront associées à l'évaluation du préjudice qu'elles ont subi», a expliqué Sandrine Mazetier. Ensuite, le dispositif ne sera pas aux seules mains du procureur mais pourra également être actionné par le juge d'instruction. Ce dernier pourra, dans le cas où des poursuites pénales ont déjà été engagées, «prononcer par ordonnance, la transmission de la procédure au Procureur de la République». «L'objectif est d'obtenir des sanctions beaucoup plus lourdes que celles que notre droit prévoit actuellement», des procédures «plus rapides» et «la prévention de la réitération de faits analogues», a plaidé Sandrine Mazetier pour contrer les critiques. Les détracteurs du dispositif y voient en effet une entorse à la tradition juridique française ou encore le vecteur «d'une justice à deux vitesses». Dans l'hémicycle, les députés écologistes comme ceux du Front de gauche, à l'instar d'Alain Bocquet, se sont érigés contre ce nouveau moyen «d'effacer l'ardoise». «Quand on a beaucoup d'argent on peut donc acheter son impunité voire une immunité. Les richissimes "triche-fisc" ont encore de belles années devant eux», a-t-il déclaré.

Jamais une entreprise n'a été condamnée définitivement

Pourtant, l'objectif revendiqué de la mesure n'est pas une plus grande mansuétude à l'égard des sociétés mais un certain pragmatisme. Il faut savoir que la justice française n'a jamais condamné définitivement une société française pour corruption active d'argent public. Alors qu'à l'étranger, les entreprises de l'Hexagone peuvent être frappées de lourdes peines pour des faits analogues, ce qui signifie que les amendes versées sont récupérées par d'autres Etats. «2,5 milliards d'euros ont été donnés au Trésor américain», a ainsi indiqué Sébastien Denaja, député PS, rapporteur du projet de loi. Le gouvernement, quant à lui, a décidé de s'en remettre «à la sagesse de l'Assemblée» après avoir salué le «très beau travail» des initiateurs de la mesure.