Le paysage sort de la brume. Pour son cru 2017, la droite française sera très nationale et très libérale. Deux interventions différentes convergent pour délimiter le champ idéologique dans lequel l’opposition évoluera pour tenter de devenir la majorité de demain. Près de Lille, mercredi soir, Nicolas Sarkozy a officialisé la ligne de conduite qu’il entend tenir désormais : un appel au peuple des profondeurs, un vibrato continu sur la corde nationaliste et anti-immigrés, distincte du Front national, certes, mais jouant sur la même partition identitaire. Sur France Inter, jeudi matin, Alain Madelin, naguère le principal chantre du libéralisme dans un pays qui ne l’était guère, déclare tout de go que Juppé, Fillon et Le Maire vont trop loin dans cette direction, en proposant une «purge» économique et en prévoyant un recul conséquent de la puissance publique. Si c’est lui qui le dit…
Nicolas Sarkozy reprend la martingale nationale qui avait réussi en 2007, avec la création annoncée d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, réutilisée en 2012 pour déclencher une spectaculaire remontée de fin de campagne. Fiévreux, pathétique presque, son discours se pare des atours du gaullisme en jouant sur l’autorité nécessaire de l’Etat et sur le patriotisme charnel. Mais on voit bien qu’il recouvre la dramatisation de l’angoisse identitaire et la désignation implicite d’un bouc émissaire aux difficultés françaises : pas seulement le terrorisme islamiste ou la montée de l’intégrisme, mais le spectre de la «fin de la France» (certains disent «le grand remplacement») favorisée par le «multiculturalisme», c’est-à-dire, dans un clin d’œil appuyé à la partie xénophobe de l’opinion, par l’islam en général. D’où le rappel obsessionnel des «racines chrétiennes» de la France, réalité historique certes incontestable, mais qui laisse dans l’ombre deux autres composantes essentielles de la même identité nationale, l’apport des minorités au creuset français (juive par exemple, depuis l’empire romain, ou musulmane depuis environ un siècle) et surtout la culture républicaine qui fonde sans doute plus la France contemporaine que l’héritage catholique.
Nicolas Sarkozy se joindra-t-il au chœur libéral entonné depuis de longs mois par ses concurrents de la primaire à droite ? Les propositions qu'il a déjà avancées le laissent prévoir, mais l'homme est un spécialiste des virages sur l'aile en cours de campagne : il peut estimer que son discours national sera plus efficace s'il est mâtiné de social et d'un zeste de protectionnisme. Il est même possible que la charge de Madelin contre «le libéralisme du moins» soit destinée à aider l'ancien président…
Du coup, les choix vont s’éclaircir. Immanquablement, au fil des semaines, les gens de gauche vont prendre la mesure du danger qui se matérialisera si l’opposition l’emporte : un virage nationaliste et anti-immigrés plus ou moins atténué par l’impératif européen ; un recul sensible de l’Etat-providence, des protections du travail et de la justice fiscale. En regard de cette menace, les querelles internes à la gauche, aussi amères soient-elles aujourd’hui, perdront de leur importance objective. Elles peuvent même apparaître pour ce qu’elles sont : le meilleur moyen de faciliter l’arrivée au pouvoir d’une droite sûre d’elle et dominatrice, et donc de préparer involontairement la grande mutation national-libérale qu’on lit dans les projets de l’opposition autant que dans les essais et les éditoriaux des intellectuels réactionnaires.