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Grève

Air France: pourquoi ça coince à nouveau entre pilotes et direction

27% des pilotes de la compagnie sont en grève samedi matin, selon Air France. 80% des vols seront assurés.
Un avion d'Air France à Roissy, en octobre. (AFP)
publié le 10 juin 2016 à 18h34
(mis à jour le 11 juin 2016 à 12h06)

Les pilotes d’Air France fêtent à leur manière le début de l’Euro avec une grève. Leur arrêt de travail débute partir de ce samedi matin, au moins jusqu’à mardi soir. Selon Air France, 27% des pilotes étaient en grève et 80% des vols seraient assurés.

Après trois jours de négociations intenses mais infructueuses entre la direction et les syndicats représentants de pilotes (SNPL majoritaire, Spaf et Alter), ces derniers ont rejeté à l’unanimité le nouveau protocole de fin de conflit amendé et transmis dans la nuit de mercredi à jeudi par la compagnie. Dès lors, la grève devenait inévitable avec la mise en application du préavis de grève déposé du 11 au 14 juin par les trois syndicats. Décryptage d’un mouvement qui après s’être déclenché sur la question des rémunérations se concentre maintenant sur la répartition des fruits de la croissance avec KLM, l’autre branche du groupe aérien franco-néerlandais.

Quelles sont les raisons de la grève ?

C'est la décision de la direction de mettre en œuvre au 1er juin certaines mesures de productivité signées par les représentants des pilotes dans le cadre du précédent plan d'économies «Transform 2015» qui a ramené les pilotes sur le sentier de la grève. Ces derniers ont en effet vu leur rémunération légèrement baisser depuis cette date (25 millions d'économies à venir sur 2016) et c'est la raison pour laquelle le SNPL les avait consultés jusqu'en mai sur le principe de faire grève. A l'issue d'un référendum fortement suivi (78% de participation) et étalé sur plusieurs semaines, près de sept votants sur 10 (68%) avaient donné leur feu vert au «recours, si nécessaire, à un ou plusieurs arrêts de travail d'une durée cumulée supérieure à 144 heures». Un mandat donné par les pilotes aux syndicats pour déposer un préavis, ce qui fut le cas quelques jours plus tard. Pourtant ce dernier ne porte plus spécifiquement sur la rémunération des pilotes mais sur six revendications d'ordre plus général qui ont plus trait au «maintien de l'activité pilote» comme ils disent qu'aux salaires proprement dit. Et le fait que cette grève intervienne au début de l'Euro n'est qu'une «concomitance de calendrier ».

Parmi les revendications figure notamment la demande des pilotes d’un rééquilibrage de la répartition de l’activité entre Air France et KLM, les deux branches du groupe aérien. Les pilotes considèrent que la croissance du groupe s’est plus portée aux Pays-Bas qu’en France ces dernières années et qu’il convient de corriger ce déséquilibre – la fusion opérée en 2004 prévoyait de respecter une fourchette dans la répartition de l’activité à deux tiers pour Air France (63%) et un tiers pour KLM (37%). Autrement que de nouveaux appareils aillent en priorité à Air France – le SNPL en réclame 15 à 20 – et que la croissance du groupe se porte prioritairement sur Air France avec à la clé de nouvelles embauches de pilotes. Les pilotes réclament également que les cinq nouveaux appareils prévus pour la filiale low-cost Transavia concernent exclusivement la base d’Orly (trois sont prévus actuellement mais également deux autres au départ de la base de Munich opérée par des pilotes néerlandais détachés en Allemagne), l’ouverture d’une négociation salariale et la création d’une nouvelle instance de concertation mais aussi de décision entre les pilotes et la direction. Les pilotes font valoir qu’avec d’une part le retour à la croissance et aux bénéfices de la première compagnie du pavillon français et d’autre part les perspectives à venir de développement du trafic, Air France doit se doter d’un plan d’expansion de l’activité plus ambitieux pour les années à venir. «Le coût des pilotes rapporté à l’activité est aujourd’hui devenu moins cher chez Air France que chez KLM, fait remarquer la représentante du SNPL Véronique Damon qui note également que les marges sont sensiblement les mêmes dans les deux compagnies. «Dans nos discussions, la direction partage nos constats, déplore-t-elle, mais elle préfère rester dans sa posture du refus. Comme nous n’avons aucune confiance dans ses promesses, nous attendons des engagements fermes de sa part qu’elle refuse de prendre. C’est elle nous a acculés à la grève que nous vivons comme un échec.»

Que répond la direction de la compagnie ?

Lors d’une conférence de presse convoquée jeudi, le PDG d’Air France Frédéric Gagey et le nouveau DRH d’Air France Gilles Gateau, ex-directeur adjoint du cabinet de Manuel Valls à Matignon ont affirmé qu’ils avaient fait tout ce qu’ils avaient pu pour éviter la grève en négociant d’arrache pied pendant trois jours et ce 24 heures sur 24. «On voulait aller très vite et empêcher la grève mais on était pas prêts à accepter n’importe quoi», a expliqué en substance Frédéric Gagey. La direction a accepté quelques concessions comme le retour à une majoration à 45% des heures de vol de nuit alors qu’elle l’avait ramené de 50 à 40% au 1er juin et les cinq appareils pour Transavia France. Mais il était hors de question de «régler des questions aussi compliquées que la répartition de l’activité entre Air France et KLM en huit jours de préavis». La direction reconnaît que cette question  «très complexe est légitime» mais considère qu’elle relèvera des missions du nouveau président de Air France-KLM Jean-Marc Janaillac qui prendra ses fonctions le 4 juillet et a promis de l’aborder. «En dépit de la reprise de l’activité et de la baisse du pétrole, la situation reste fragile», juge Frédéric Gagey qui évoque une baisse de la recette unitaire hors charge de 5% en mai par rapport à l’an dernier. «On a chiffré les demandes des pilotes en termes d’appareils, elles représentent 4 milliards d’investissements et 27 appareils avec un doublement de la dette, ce n’est pas possible», a expliqué pour sa part Gilles Gateau qui estime ce plan de croissance «irréaliste». La direction estime d’autre part que les salaires des pilotes ont augmenté en moyenne de 5 à 6% ces dernières années et rappelle, en s’en félicitant, que grâce au retour des bénéfices, elle a distribué pour la première fois depuis de longues années 60 à 70 millions d’intéressement au personnel au titre de l’exercice 2015. «Il y a une procédure qui s’appelle la négociation annuelle sur les salaires», explique-t-elle également pour justifier son refus de s’engager sur cette question dès à présent.

Quel sera l’impact de la grève ?

La direction d'Air France «prévoit d'assurer plus de 80% de ses vols» samedi, au premier jour d'une grève qui mobilisera 25% des pilotes, pour défendre l'emploi et les conditions de rémunérations, a indiqué la compagnie vendredi. Dans le détail, Air France annonce le maintien de «plus de 90%» des vols long-courriers, «90%» des vols intérieurs et «autour de 75%» des vols moyen-courriers de et vers Paris Charles-de-Gaulle, sans exclure «des annulations et des retards de dernière minute». Pour la direction, qui estime qu'il s'agit d'un très mauvais coup porté à la compagnie (la grève peut lui faire perdre jusqu'à 6 à 7 millions d'euros par jour, selon ses calculs) mais aussi à l'image de la France au moment où démarre l'Euro, ce taux de grévistes est faible et traduit le désaccord d'un certain nombre de pilotes, pourtant syndiqués à plus de 70%, avec les mots d'ordre de leurs présentants. Très majoritaire chez les pilotes (65%), le SNPL explique pour sa part que l'objectif n'est «surtout» pas de prendre en otage les clients mais de faire pression sur la direction en laquelle elle n'a «aucune confiance» et qui refuse de s'engager par écrit sur des revendications qu'elle estimait pourtant «légitimes et recevables » dans les discussions. «Nous sommes parfaitement conscients de l'impact très négatif qu'a eu la grève de 2014 [la plus longue de l'histoire de la compagnie, ndlr], explique la pilote Véronique Damon, secrétaire générale du SNPL. C'est pourquoi nous avons changé de méthode et notre but n'est pas de faire annuler les vols mais de permettre aux pilotes d'exprimer leur désaccord.»

Le mouvement prendra la forme d'une grève par plage horaire. «Concrètement, un pilote dont le vol est prévu à 7h30 sera en grève sur la plage horaire du matin allant de 5h30 à 8h30 et ne commencera son travail qu'à 8h30, détaille Véronique Damon. Le vol ne sera donc pas annulé mais simplement retardé.» Irritée par ces subtilités dans le modus operandi du mouvement, la direction qui dit «avoir cherché jusqu'au bout à éviter cette grève par tous les moyens», note pour sa part que «l'objectif de blocage des pilotes est atteint. On ne va quand même pas remercier le SNPL pour ses recommandations aux grévistes, s'est insurgé le PDG d'Air France Frédéric Gagey. De toute manière, chaque pilote déclaré gréviste est libre de faire comme il l'entend.» La direction pointe également le fait que les plages horaires retenues sont celles qui ont le plus d'impact sur le trafic. La compagnie qui assure qu'elle veillera à ce que les vols acheminant des passagers pour l'Euro soient maintenus devrait annoncer dans l'après-midi «les premières annulations de vols» notamment à travers l'envoi de «SMS aux passagers».

Que va-t-il se passer ensuite ?

Tout dépendra d’abord du succès remporté par la grève et du taux réel d’adhésion des pilotes à un mouvement qui arrive en termes de timing au plus mauvais moment. Les revendications des pilotes n’ont par ailleurs aucun rapport avec la contestation de la loi El Khomri et à ce stade, selon, la direction, l’Etat, premier actionnaire d’Air France avec 17,6% du capital, se contente de suivre l’évolution de la situation dont il est informé par la compagnie. Si les pilotes n’ont pas déposé à ce stade de nouveau préavis, ils pourraient néanmoins opter pour la répétition systématique de ces préavis de quatre jours. Ils se disent prêts à reprendre la discussion avec la direction et à étudier de nouvelles propositions. Les syndicats de pilotes reprochent d’ailleurs à cette dernière de mettre toute son énergie à limiter les effets de la grève plutôt que de trouver un accord. Ce à quoi Frédéric Gagey qui sera à partir de demain «en gilet jaune» avec les équipes sur le terrain à Roissy-Charles-de-Gaulle et dans les centres d’appel a répondu «que sa porte restait ouverte mais qu’à un moment, on passe de la phase de négociation à la phase opérationnelle» pour assurer le meilleur plan de vol possible.

Quelle que soit la tournure que les pilotes donneront à leur mouvement qu'ils affirment «très soutenu» par les autres catégories de personnel, la direction d'Air France n'en a pas fini avec les perturbations sociales au sein de la compagnie. Les hôtesses et stewards qui sont en négociation avec la direction pour renouveler leur accord collectif, qui expire en octobre, menacent, eux aussi, de se mettre en grève à partir de la fin juillet, en pleine période des vacances. Autant dire que l'entrée en fonction du nouveau PDG du groupe Jean-Marc Janaillac au début de l'été s'annonce musclée. C'est en définitive à ce dernier qu'il reviendra de trancher sur les moyens mis au service du développement d'Air France et les efforts futurs de productivité que devront assurer les pilotes dans le cadre du plan Perform 2020 toujours en jachère.