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Billet

Euro : puisqu'on vous dit que la «fête est déjà gâchée»…

Quand l'organisateur de la compétition de football se lamente de la situation sociale… On peut aussi se dire que le jeu de ballon (aussi prestigieux et joyeux soit-il) est une chose, et la vie démocratique une autre.
Paris, le 9 juin. (Photo Dominique Faget. AFP)
publié le 10 juin 2016 à 19h11

Chers supporteurs de l'équipe de France, d'Allemagne ou d'Angleterre, si vous aviez en tête de venir assister à un match de l'Euro dans un des dix stades de l'Hexagone, il faut rentrer chez vous. Tout de suite, maintenant. Et puis, une fois chez vous, ce n'est même pas la peine d'allumer vos téléviseurs. N'insistez pas, puisqu'on vous dit que «la fête est déjà gâchée». Ce n'est pas nous qui le disons mais l'organisateur en chef de la fête, Jacques Lambert, le président du comité d'organisation de l'Euro 2016. C'est dire si c'est vrai.

Tous les footeux du monde (grands et petits) comptent les jours depuis des semaines pour découvrir qui de Griezmann ou de Ronaldo va enflammer cet Euro, et voilà que monsieur Lambert nous prévient que cela ne vaut pas la peine de venir. C'est à peine s'il ne nous recommande pas de revendre notre billet en catastrophe. Vite fait, bien fait. Et pourquoi ça ? «L'image [de la France, ndlr] qui est donnée n'est pas celle que nous voulions», nous dit-il. A en croire monsieur Lambert, cette France-là ne fait pas très envie. Elle fait mauvais genre. Rendez-vous compte, elle sent mauvais, avec ces ordures qui s'accumulent dans quelques quartiers parisiens. Et puis surtout, elle est très indisciplinée avec ces grèves qui perturbent (un peu) les transports en commun et notamment les RER qui mènent au Stade de France. Monsieur Lambert semble aimer l'ordre et la propreté, et dit avoir «du mal à comprendre» le sens de ces mouvements sociaux. Il développe sa pensée : «Ceux qui sont gênés, ce sont les supporteurs qui ne se recrutent pas parmi le CAC 40, au Medef ou dans le VIIe arrondissement, a-t-il estimé. Je ne comprends pas la logique à perturber ses frères en société.»

Par définition, cher monsieur Lambert, la grève dans les transports publics incommode rarement les patrons du CAC 40, y compris quand ces derniers veulent venir au stade. Oui, une toute petite partie de la France continue à manifester son opposition à une loi qui divise les syndicats, qui n’a pas trouvé de majorité à l’Assemblée nationale et qui est toujours rejetée par une majorité de Français. On a le droit de s’en désoler, au nom de la belle organisation de l’Euro. On peut aussi se dire que le jeu de ballon (aussi prestigieux et joyeux soit-il) est une chose, et la vie démocratique en est une autre. Et quitte à choisir une vitrine pour la France, il serait préférable d’opter toujours pour la seconde, y compris quand celle-ci offre un joli bordel. D’ailleurs, rien n’empêche de soutenir (ou de râler contre) les grévistes et d’aller applaudir cette mauvaise fille d’équipe de France. La fête du foot n’est pas gâchée, tout simplement parce qu’elle n’a pas commencé.