Deux gamins chuchotent dans une petite allée du quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie (Yvelines), à cent mètres de là où vivait Larossi Abballa, l'assassin présumé d'un commandant de police et de sa compagne. Le plus grand a une lèvre qui tremble quand il parle de lui et dresse un profil convenu à ce niveau de l'histoire : un type dont on n'aurait jamais cru qu'il pouvait en arriver là. Qui venait de sortir de taule, mais qui avait l'air de s'être arrangé : «Il restait posé avec nous de temps en temps et faisait quelques rappels religieux en nous disant d'éviter les conneries.»
Le plus petit hausse la voix : «On ne le voyait jamais. Et il ne faisait pas de rappels, sinon je le saurais. Je suis tout le temps-là.» Ils se sont regardés, puis sont partis. Le plus grand d'abord, la main dans la poche de son survêtement, en répétant qu'il était choqué. Puis le plus petit, qui résume la manière dont les habitants du Val-Fourré voient les choses : lundi soir, un type a tué deux policiers. Point. «L'Etat islamique ? Ça a plutôt l'air d'un règlement de compte ciblé. S'il avait été terroriste, il aurait tiré dans la foule.»
Une espèce de fantôme
La consigne est passée discrètement dans la matinée via des anciens : surtout ne pas l'ouvrir. Ou bien un minimum, pour les plus rodés. Un mélange d’aversion pour des journalistes qui pressent des gamins de leur filer un contact, mais aussi de flip, puisque l’embrouille n’est pas anodine : elle est estampillée «Etat islamique», quand bien même tous ici la classent dans la rubrique faits divers et vengeance personnelle.
Ça donne ce genre de témoignages anonymes : «Deux fois, il m'a livré des hamburgers, mais je prends des risques en vous disant ça. Le simple fait de dire "je le connais de vue" peut attirer de gros problèmes dans le contexte» , «une page Facebook pour revendiquer, ça ne veut rien dire, ça se trafique, je n'y crois pas» ou "celui qui veut se suicider mais qui n'assume pas se tourne vers Daesh".
En début d'après-midi, mardi, quelques habitants sont sortis sur leur balcon pour interpeller des riverains. «Truc de fou, je ne vois même pas qui c'est. C'est qui le gars sur BFM TV ? C'est vrai qu'il habite en face ?» D'autres scrutaient leur profil Facebook pour vérifier s'ils n'étaient pas «amis» avec lui sans le savoir. Une espèce de fantôme.
Avant que tout le monde ne finisse de se caler sur un discours officiel – «C'était un jeune livreur de sandwichs qui a pété un plomb» –, ça s'est un peu agité en bas du petit immeuble d'Abbella. Quelques jeunes racontaient tout haut l'avoir vu deux jours avant. L'un d'eux jurait : «Dès que j'ai entendu ce qui s'était passé à Magnanville, j'ai pensé à lui. Je ne sais pas pourquoi, je savais que c'était lui, même si c'était un gars calme.»
«Il vit avec ses parents»
Driss, un quinqua qui feignait d'être au téléphone pour esquiver les journalistes, avait glissé que ce garçon n'était pas très connu dans ce coin-ci du Val-Fourré «car il avait habité ailleurs» – vraisemblablement dans la ville voisine des Mureaux.
Un mécano du quartier se souvenait avoir réparé sa R19 essence. Quand on lui a demandé s'il était marié, il a répondu : «Lui ? Non.» Comme si c'était surréaliste. «Il vit avec ses parents» qui étaient en vacances au Maroc depuis trois mois et qui devraient être de retour ce mardi soir. Et une dame tout en bleu assurait le voir de temps à autre déambuler en bécane, «celles qui font du bruit». Larossi Abballa, 25 ans, était connu des services de police pour des faits de petite déliquance et pour son implication dans des filières jihadistes, pour laquelle il avait été condamné en 2013 à trois ans de prison, dont six mois avec sursis.
A Mantes-la-Jolie, le Val-Fourré est une ville dans la ville à la réputation difficile, divisée en petites zones. Abballa habitait aux Garennes, qui après le plan de rénovation du début des années 2000 ressemblent plus à une cité pépère qu'un ghetto. «On n'a pas envie d'être traités comme Molenbeek», prévient Hayat, mère d'un gamin de l'âge de «Larossi» : «Le premier qui a des envies suicidaires fait entrer l'Etat islamique dans l'histoire.» Elle ajoute : «S'il avait vraiment été de Daech, il aurait tiré dans le tas pour tuer un maximum de gens, y compris des gens qui lui ressemblent.» Tout pareil qu'une vieille dame, voisine d'Abballa, qui murmure : «Il a tué un homme, puis une femme, et maintenant, c'est comme si tout le Val-Fourré avait tué.»