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Libération

Pleyel, nœud du Grand Paris

Comment franchir le plus grand faisceau ferré d’Europe : un casse-tête pour les urbanistes du Grand Paris, qui songent à un ouvrage hors normes, doublé d’un lieu de vie
publié le 14 juin 2016 à 17h11

C’est une départementale peu avenante, en tout cas sur la partie sombre de son tronçon, celle qui se glisse sous les voies ferrées de la gare du Nord. Sur les murs, des fresques fatiguées, un trottoir pas encourageant, et des voies de circulation surchargées aux heures de sortie des bureaux. Mais la rue du Landy est un axe vital de Saint-Denis, commune du nord de Paris. A mi-chemin du périphérique au sud et de l’autoroute A86 au nord, c’est le seul lien entre le quartier Pleyel, en plein boom, et le reste de la commune. Entre les deux, un no man’s land de ballast et d’acier : le plus grand faisceau ferré d’Europe, le troisième au monde en terme de circulation, soit une cinquantaine de voies de chemin de fer. Ici passe un millier de trains quotidiens, les Thalys vers la Belgique et les Pays-Bas, les Eurostar vers l’Angleterre, les RER et les transiliens qui irriguent le nord de la région, les intercités qui desservent les nouveaux Hauts-de-France. Bref, une mine pour les amoureux du rail et des records. Mais un cauchemar pour les urbanistes.

Métro circulaire. Le quartier de la Plaine Saint-Denis se distingue autant par ces nombreuses coupures (autoroutes, rail, canal Saint-Denis, Seine) que par le cruel manque de franchissements. Difficile de créer un maillage urbain cohérent. Mais si ce n'était que ça. Le casse-tête prend une autre dimension au vu des enjeux qui dépassent largement les simples questionnements sur la vie de quartier. Le quartier Pleyel est une des pièces essentielles du Grand Paris Express à venir, ce métro circulaire qui dans quinze ans métamorphosera les plans de transports de l'Ile-de-France. Le chantier du siècle - 205 kilomètres de réseau, 24 milliards d'investissements, 68 nouvelles gares - passe et s'arrête par le quartier. Ici sera construite la gare de Pleyel-Saint-Denis, un des principaux hubs du Grand Paris, où sont attendus 250 000 voyageurs au quotidien. S'y rejoindront progressivement le prolongement de la ligne 14, les futures lignes circulaires 15 et 16 ainsi que la ligne 17 qui filera vers l'aéroport Charles-de-Gaulle. Autour de la gare, prévue pour 2023, émergeront plus de 500 000 m2 de logements et de bureaux.

Evidemment, pour que tout ce montage fonctionne correctement, il est essentiel que cette gare soit connectée à sa voisine du RER D, une pénétrante qui traverse la région du Val-d’Oise à la Seine-et-Marne. Après tout, elle n’est située qu’à 300 petits mètres à l’est. Une broutille, quelques minutes de marche à pied. Sauf qu’il s’agit justement de ces fameux 300 mètres de voies ferrées infranchissables. Il est d’autant plus nécessaire de trouver une solution que, dans l’hypothèse où Paris accueillerait les Jeux olympiques en 2024, il est prévu d’installer à Pleyel le village olympique et tous les athlètes. Or, où se situe le Stade de France ? Bingo, de l’autre côté.

La solution passe par un pont. Mais il ne sera pas simple à réaliser. «On est dans le domaine des ouvrages hors normes», explique Florent Serrat, en charge de la conduite du projet pour la Plaine commune, établissement public territorial regroupant les communes voisines, et maître d'ouvrage pour ce projet. Avant même la construction du pont, il faudra abaisser des caténaires, enfouir des réseaux, condamner des voies afin de poser les appuis du pont. Ces travaux connexes sont estimés entre 15 et 25 millions d'euros. L'ensemble du projet, lui, dépasse les 180 millions. La construction sera compliquée. En raison des trains qui passent, les vibrations sont interdites. «Sauf que la meilleure manière d'enfoncer des pieux, c'est de vibrer. Une technique qui sera non utilisable», donne en exemple Florent Serrat.

Kiosques et terrasses. Large d'une quarantaine de mètres, prévu pour faire cohabiter voitures, bus et piétons (avec un trottoir au-delà de ce qui est nécessaire pour circuler) : Plaine commune a souhaité que ce pont ne soit pas juste un franchissement, mais aussi un espace de vie, avec des terrasses, des kiosques, des espaces pour accueillir des événements festifs. Sur les 21 cabinets d'architectes qui ont concouru à l'appel d'offres, Plaine commune a retenu cinq finalistes. Le jury retiendra un vainqueur le 30 juin, pour un démarrage des travaux au premier semestre 2020.

Mais l’établissement public et son président, Patrick Braouezec, imaginent bien plus qu’une simple passerelle. C’est carrément un bâtiment-pont qui est envisagé au-dessus du faisceau ferré, avec des logements et des bureaux. Faute d’investisseurs immobiliers, cette partie-là n’est pas encore financée. Mais Plaine commune a réclamé que les projets prévoient cette possibilité. L’établissement public est confiant, vu l’emplacement et son caractère emblématique. C’est surtout un maillon essentiel de reconquête de l’espace urbain : faire de ce pont non pas un simple franchissement entre deux quartiers, mais un élément clé du Grand Paris.