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Libération
Reportage

Un couple dévoué au sein d’un quartier «sans histoire»

Les deux policiers tués habitaient dans une allée pavillonnaire de Magnanville. Appréciés du voisinage, ils s’étaient installés après la naissance de leur petit garçon.
A Magnanville, mardi. Le couple laisse un garçon de 3 ans et demi, l’homme avait aussi un enfant plus âgé : tous deux seront reconnus pupilles de la nation. (Photo Stéphane Remael)
publié le 14 juin 2016 à 20h11

L’allée des Perdrix commence au cœur du lotissement, dans le centre de Magnanville, petite commune de 6 000 habitants à l’extrémité nord-ouest des Yvelines. Bordée de pavillons, elle longe les terrains de sport d’un grand complexe et se termine 500 mètres plus loin, entre un collège et une école primaire. Dans cette rue, lundi soir, Larossi Abballa, se réclamant de l’Etat islamique, a assassiné sur le seuil de sa porte un policier en civil et son épouse.

Originaire de Pézenas (Hérault), Jean-Baptiste Salvaing, 42 ans, travaillait à une petite vingtaine de kilomètres de là, aux Mureaux, où il était commandant adjoint depuis 2015, après avoir fait l'essentiel de sa carrière dans le département. Sa compagne, Jessica Schneider, âgée de 36 ans, était secrétaire administrative dans le commissariat voisin de Mantes-la-Jolie. Le couple avait emménagé dans son pavillon de Magnanville il y a deux ans, après la naissance de leur petit garçon. Il est le seul rescapé de la tuerie de lundi soir. Indemne physiquement mais très choqué, l'orphelin de 3 ans et demi, qui est scolarisé dans la commune, a été hospitalisé à Paris. François Hollande a annoncé mardi depuis son déplacement au Niger que l'enfant serait «reconnu pupille de la nation», de même que l'aîné de Jean-Baptiste Salvaing, car «leurs parents ont été visés parce que policiers».

«Tournoi de foot». A la mairie, on connaissait surtout Jessica Schneider. Sandrine Martins, première adjointe au maire, raconte que la jeune femme s'impliquait dans la vie de la commune. «Elle était très conviviale et participait aux activités sportives, notamment le tournoi de foot organisé tous les ans en hommage à une policière [tuée par une voiture en 1991 à Mantes-la-Jolie, ndlr]. Elle faisait aussi partie de la commission des affaires scolaires. La semaine dernière encore, elle était à la réunion sur les menus», décrit l'élue, visiblement bouleversée. Lundi soir, elle est arrivée devant le domicile de la famille avec les pompiers vers 20 h 20, juste après l'assassinat de Jean-Baptiste Salvaing, alors que le tueur venait de se retrancher à l'intérieur de la maison. «C'était des gens charmants», raconte un voisin, qui les côtoyait et voyait souvent passer la famille. Lui aussi est arrivé sur place juste après le drame. Encore sous le choc, il s'excuse d'une voix blanche de ne pas pouvoir en dire plus et s'éloigne au volant de sa berline.

«Ce sont des gens qui se dévouent pour les autres. Quand on a besoin d'eux, ils sont là», a salué François Garay, le maire (divers gauche) des Mureaux où exerçait le père de famille, «quelqu'un de vraiment très bien», a assuré l'élu. Devant le commissariat, mardi matin, les mines étaient fermées. Un syndicaliste policier, venu «apporter sa solidarité aux collègues», évoque son «immense peine» face à cette «barbarie» qui le laisse sans mot, dit-il, sinon une pensée pour l'enfant rescapé et quelques suggestions au ministre de l'Intérieur.

«C'est partout, hélas». A Magnanville, seul le ronron de l'autoroute et quelques aboiements sporadiques bercent d'ordinaire les pavillons les jours de semaine. Derrière les haies bien taillées et les petites barrières blanches, les riverains sont peu nombreux en pleine journée. «La plupart des habitants travaillent à Paris. On entend juste un peu de bruit quand tout le monde rentre à 19 heures», témoigne Jean-Pierre, 62 ans, tout juste retraité de la fonction publique territoriale. Lundi soir, ce sont les pales d'un hélicoptère qui l'ont interpellé. Puis des déflagrations, entendues dans tout le voisinage. Alain et Martine, enseignants à la retraite, en ont entendu deux : une première, puis une autre, plus grosse, précise Martine. Dehors, l'éclairage public est coupé, le quartier plongé dans le noir. Quelques tirs résonnent au loin. «Les derniers étouffés, comme s'ils venaient de l'intérieur», se souvient Jean-Pierre. Il habite le quartier depuis trente-et-un ans et, comme bien d'autres riverains, parle d'un quartier résidentiel «normal», «calme», «sans histoire». A peine se remémore-t-il quelques cambriolages. C'est cette atmosphère paisible qu'était revenue chercher Nicole, ancienne bouchère de 76 ans. Lorsqu'elle a appris la tuerie toute proche, elle a un instant pensé à vendre sa maison, mais s'est ravisée : «C'est partout, hélas, pas qu'ici.» Mardi, toute l'allée des Perdrix était bouclée, le centre complexe sportif fermé. Deux agents de sécurité sont venus en renfort devant l'école.