Menu
Libération
Ambiance

«C’est la pagaille, mais c’est dans la culture française, non ?»

De Lille à Marseille, les supporteurs étrangers venus pour l’Euro sont nombreux à subir les conséquences des grèves. Mais la plupart restent fair-play.
Aux abords du Stade de France avant le match d’ouverture de l’Euro, vendredi 10 juin. (Photo Cyril Zannettacchi pour Libération)
par Stéphanie Maurice, à Lille et Stéphanie Harounyan, à Marseille
publié le 15 juin 2016 à 21h31

«Mes enfants m'ont dit de faire attention, les médias disent que toute la région est bouclée, mais en fait, tout se passe très bien, et on peut se balader comme on veut !» Peter, supporteur gallois, résume le sentiment général des Européens rencontrés à Lille, mercredi après-midi, à l'occasion de l'Euro de foot. La France garde sa douceur de vivre, malgré les discours anxiogènes, les manifs et le terrorisme.

Ce travailleur social de Rhos-on-Sea est venu avec sa bande d'amis soutenir son équipe, qui joue à Lens : ils ont profité de l'occasion pour s'offrir une semaine dans la région, avec visite d'un cimetière britannique de la Première Guerre mondiale, où un oncle lointain repose, près de Cambrai. «Que pouvons-nous visiter encore, pour éviter de boire trop ?» sourit-il en désignant sa pinte. Ils ont apprécié l'ambiance des bars, et les gens «very friendly». Et même pas peur des hooligans. Il montre en souriant son tee-shirt, orné du dragon gallois : «Nous ne sommes pas Anglais, alors nous n'avons de problèmes avec personne.»

«Humide»

Ivan, Russe vivant à Bruxelles, a aussi l'esprit tranquille, et savoure une bière en terrasse. Même si sa femme et son jeune fils ont finalement abandonné l'idée de venir voir le match à Lille, «entre le terrorisme et les événements à Marseille», qui l'affligent. Les supporteurs russes rencontrés sont unanimes pour les désapprouver, et s'inquiètent plus de leur réputation que de celle de la France. Le déploiement policier massif rassure tout le monde : deux charmantes Russes, couronne de fleurs dans les cheveux, se font photographier devant un cordon de CRS en tenue d'intervention. Peter se sent en sécurité, et souligne : «Le terrorisme, cela peut aussi bien arriver à Londres.»

Pareil pour l'agitation sociale. Deux jeunes Anglaises, en tournée shopping dans le Vieux Lille, quartier chic, se sont vu échanger leurs billets de train sans difficulté et gratuitement, et ont trouvé la grève bien gérée. Venus en voisins, de Mons, en Belgique, savourer l'ambiance de l'Euro, Sabine et Tony, estiment, que «c'est le même partout [c'est la même chose partout, ndlr]» . Ils énumèrent : grève de la SNCB (les chemins de fer belges), des prisons pendant quarante-deux jours, et aussi des éboueurs… La France n'a pas l'apanage du blocage. Alors Shanon, Dan et Alan, de Londres, n'ont qu'un seul regret : le temps. «C'est comme en Angleterre, ici, humide !»

«Fête»

A Marseille, où la météo est plus estivale, les chants des supporteurs français, attablés en terrasse, ont ramené la bonne humeur sur le Vieux-Port de Marseille, après le chaos du week-end. De quoi faire oublier les perturbations à la SNCF. Ou presque. Ken, un Allemand de 27 ans, a dû attendre des heures son train à Paris, avec le stress de ne pas arriver à temps pour le match au Vélodrome : «D'accord, on ne peut pas s'arrêter de vivre pour le foot, mais les Français sont en permanence en grève. Ils auraient pu faire une parenthèse, on n'est pas responsables de leurs problèmes !» A bien y réfléchir, le voyage a eu du bon : «J'ai rencontré une Marseillaise qui attendait aussi son train à la gare, on a râlé ensemble et je dois la revoir ce soir !» La chorale française fait une pause pour sourire aux touristes photographes, qui se sont massés autour d'eux.

Shu, une Chinoise de 26 ans, mitraille derrière ses lunettes de soleil. Son voyage, la jeune étudiante le voit en rose, manifs comprises. «C'est comme une fête, ils chantent, ils dansent, on dirait qu'ils sont contents, on a du mal à croire qu'ils protestent contre quelque chose ! C'est vrai que c'est la pa gaille, mais c'est dans la culture française, non ?»

Don et son groupe d’amis ont fait une halte pour consulter la carte. La grève les a privés de tour Eiffel la veille, lors de leur escale parisienne, alors le jeune Albanais a bien l’intention de profiter d’une virée au Mucem avant le match de ce soir.

«Monarchie»

Si les grèves ont bouleversé son programme, il retient surtout la pugnacité des Français. «Vous êtes très nombreux à défiler dans les rues, j'admire cela. Chez nous en Albanie, avec la corruption et la proximité des patrons avec le pouvoir, les gens ont trop peur d'être renvoyés s'ils se plaignent. Vous, vous avez la liberté d'exprimer votre insatisfaction.» Don presse le pas, alors que les premiers supporteurs s'engouffrent dans le métro, direction le stade, sous le regard amusé de Greg, un Australien de 61 ans, en visite avec son épouse. «On est partis faire le tour de l'Europe il y a quelques mois, on n'a pas réalisé qu'on arriverait en France au moment de l'Euro !» se marre-t-il. C'est en allumant la télé de leur hôtel, que le couple a découvert qu'en plus, ils devraient composer avec un conflit social. «Je comprends leur lutte, assure le retraité. Le gouvernement français devrait écouter la population. On a toujours l'impression que votre pays est sous le régime de la monarchie.» Derrière lui, Anna et son fils ont suivi la conversation. De sa poche, la jeune Albanaise sort un tract syndical ramassé la veille sur la chaussée. «Je n'ai rien compris à ce qui y est écrit, mais ça me fait un souvenir, plaisante-t-elle. Forcément, si les grèves nous avaient empêchés d'arriver à Marseille, on aurait été très en colère. Mais on est là, il fait beau et j'ai mangé des sardines !»

La CGT demande la suspension du débat parlementaire

«La sagesse voudrait que le gouvernement suspende le débat parlementaire», a déclaré Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, mercredi soir sur France 2, appelant à maintenir les journées d'action nationales prévues par l'intersyndicale du 23 et du 28 juin. Comme une réponse à la requête du Premier ministre, le matin même. «Je demande à la CGT de ne plus organiser ce type de manifestations sur Paris», avait alors lâché Manuel Valls laissant entendre qu'il pourrait interdire des manifestations «au cas par cas». Est-ce possible ? La liberté de manifester est garantie par la loi du 30 juin 1881 sur «la liberté de réunion». Mais, toute manifestation est soumise à une déclaration préalable et ne doit pas constituer de «trouble à l'ordre public établi par la loi». De plus, depuis les attentats du 13 novembre et l'instauration de l'état d'urgence, le ministre de l'Intérieur ou le préfet peuvent interdire, «à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre».Le gouvernement a ainsi interdit fin 2015 les «marches pour le climat» prévues à l'occasion de la COP 21.