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Libération
A la barre

Tempête dans l'avocature au procès en appel de Jérôme Kerviel

David Koubbi, le défenseur de l'ex-trader de la Société générale a fait citer comme témoins ses confrères qui défendent la banque, suscitant une belle polémique.
Jérôme Kerviel (à droite) et son avocat, David Koubbi, en janvier, devant la cour d'appel de Versailles. (Photo Marc Chaumeil pour «Libération»)
publié le 15 juin 2016 à 20h04

La justice, c'est sportif. Mercredi matin, à l'ouverture du procès en appel opposant Jérome Kerviel à la Société générale, les avocats des deux bords ont échangé des noms d'oiseaux. Pour mémoire, le trader a été condamné à trois ans de prison ferme, peine définitivement consacrée par un arrêt de la Cour de cassation en mars 2014 (même s'il ne l'a que très partiellement purgée). A cette occasion, la plus haute juridiction française annulait toutefois les 4,9 milliards de dommages et intérêts qu'il devait verser à la banque. C'est sur ce point précis que la cour d'appel de Versailles est censée refaire le match : la Générale est-elle un peu, beaucoup ou pas du tout complice des agissements de Kerviel ? Son avocat, David Koubbi, entend tout remettre à plat, revisiter l'ensemble du barnum pénal, avec cette conviction : «Les avocats de la banque ont participé à ce que la procédure soit truquée.» Et de les citer comme témoins, les empêchant de facto de plaider en robe. Tempête dans le Landerneau de l'avocature.

«Ce n’est pas un pavillon de complaisance»

A la base, cet enregistrement clandestin d'une policière initialement missionnée sur l'enquête, conversant avec une représentante du parquet alors en charge du dossier, la magistrate proclamant : on était «sous la coupe des avocats de la Société générale.» Directement visés, ces derniers ont répliqué chacun à leur manière. Jean Reinhart, tachant de rester calme : «Gesticulation médiatique dont on a désormais l'habitude, une façon de choisir ses avocats adverses, contraire à la jurisprudence des droits de l'homme.» François Martineau, campant le registre technique : «Les avocats de la Générale ne sont pas les témoins des faits, ils ont été saisis après leur commission.» Jean Veil, toujours aussi polémiste : «J'envisage de porter plainte pour menace !» S'invitant à l'audience, les bâtonniers de Paris et Versailles sont venus en renfort au nom du secret professionnel, consubstantiel à la profession d'avocat : «Ce n'est pas un pavillon de complaisance mais un devoir pour nous.» 

MeKoubbi ironise sur les menaces dont MeVeil se dit victime de sa part : «Je comprends qu'il se sente menacé.» La semaine dernière, quand le tribunal des prud'hommes donnait raison à Jérôme Kerviel contre son ancien employeur, lui accordant 450 000 euros de préjudice pour licenciement non conforme, Jean Veil avait tout simplement prôné l'abolition de la justice prud'homale…

«Pieds dans le plat»

Fusent alors les propos peu confraternels entre avocats, «connard», «taisez-vous», avant que le président de la Cour ne tente de mettre son holà : «Il est à peine 10 h 20, on ne va pas commencer à s'insulter…» Nonobstant, l'initiative de MKoubbi, outre qu'elle est très peu confraternelle, est vouée à l'échec. La cour d'appel en prendra acte après avoir fait mine de délibérer un quart d'heure sur ce point : «Nous ne pouvons pas faire autre chose que de constater leur refus de comparaître comme témoins.» Les avocats de la Générale pourront donc continuer à plaider en robe jusqu'à la fin du procès, d'ici vendredi. Simple agitation procédurale ? Me Koubbi s'en défend, même s'il avait anticipé le rejet de sa demande. Il faut parfois «mettre les pieds dans le plat», plaide-t-il, mettre sur la place publique les relations parfois incestueuses entre avocats et magistrats, en dépit de la supplique du parquet visant à «ne pas s'éloigner de notre saisine.» C'est mal parti.