Des dizaines de blessés, tant du côté des forces de l'ordre que des manifestants. Le défilé parisien du 14 juin contre le projet de loi travail a été marqué par un niveau de violence jamais atteint dans la capitale depuis le début du mouvement. Un cas de blessure grave a attiré l'attention : celui d'un manifestant suisse, touché au dos par un projectile, au croisement du boulevard du Montparnasse et du boulevard Raspail, dans le VIe arrondissement de Paris. De nombreuses vidéos ont vite circulé, montrant l'homme à terre, dans un nuage de fumée, alimentant l'hypothèse d'un nouveau cas de violence policière, trois semaines après que Romain D., 28 ans, a été blessé par une grenade de désencerclement près de Nation. D'autant que la manifestation a été marquée, tout du long, par des affrontements récurrents entre «casseurs» cagoulés et forces de l'ordre. Et des jets de projectiles divers : feux de bengale, d'artifice, bombes agricoles d'un côté ; grenades lacrymogènes et de désencerclement de l'autre.
Fusée. Selon nos informations, le manifestant touché mardi aurait été victime d'un engin artisanal tiré depuis les rangs des manifestants, et non des forces de l'ordre. Mercredi déjà, le préfet de police de Paris, Michel Cadot, était resté prudent sur les circonstances des faits, alors même que certains témoins parlaient de l'utilisation d'une grenade lacrymogène en tir tendu par les policiers. Sur les réseaux sociaux, d'autres s'inquiétaient d'un risque de tétraplégie pour le blessé. Le préfet, après avoir annoncé la saisine de l'IGPN (la police des polices), avait d'abord rassuré sur l'état de santé de l'homme, affirmant que celui-ci ne «présentait pas d'inquiétude pour l'avenir». Dans la foulée, Cadot avait expliqué que la nature du projectile était encore inconnue, mais avait noté les «conditions étonnantes» dans lesquelles le manifestant avait été blessé. «Il n'y avait pas de présence des forces de l'ordre dans l'environnement immédiat, ni d'affrontements.» Les éléments recueillis par Libération semblent renforcer la position de la préfecture. «Vu le placement de la victime, il semble tout à fait probable, voire quasiment certain, que le projectile a été tiré depuis les rangs des manifestants», explique une source policière haut placée. L'engin, placé sous scellés, fait l'objet d'analyses. Il pourrait s'agir d'une fusée de détresse, dont la charge de dépotage (servant à la propulsion) se serait logée dans le dos de la victime, 4 ou 5 centimètres sous l'épaule droite. Elle aurait été tirée en direction des policiers par un manifestant situé en retrait. «La partie métallique était si enfoncée que les premiers secours ne s'en sont pas vraiment rendu compte sur place, poursuit cette source. C'est à l'hôpital que les médecins ont vu ce projectile incrusté.» Selon une autre source policière : «Lors de l'opération, un morceau de métal de quelques centimètres a été extrait.»
Charge. Dès mardi soir, des investigations ont été lancées pour vérifier la nature du matériel à l'origine de la blessure. Rien n'indique pour l'heure qu'il s'agit d'une arme équipant les forces de l'ordre. «Les premières constations médicolégales semblent montrer qu'on n'a pas affaire à du matériel administratif», avance une source judiciaire. Elle souligne qu'il «n'existe pas, pour l'instant, de suspicion de blessure causée par une personne dépositaire de l'autorité publique». Une source policière haut placée renchérit : «Selon le service de l'équipement, l'engin ne correspond à aucune pièce des armes des forces de l'ordre.»
La suite des événements, après que le manifestant a été heurté par le projectile, interroge néanmoins sur l'attitude des CRS. «Quand je suis arrivé, le blessé était déjà au sol, mais conscient. Des gens criaient "blessé, blessé", j'ai accouru, je suis photographe mais j'ai aussi une formation de secouriste. Dans un cas comme ça, tu poses immédiatement ton appareil pour aider», témoigne Michel Pelletier, photographe indépendant. Il raconte que quelques minutes après, alors qu'un attroupement se forme autour de la victime, les «forces de l'ordre ont chargé». Rafael Yaghobzadeh, photographe aussi, décrit la même scène. «Sans que personne ne comprenne pourquoi, elles ont balancé du gaz lacrymogène.» Un manifestant reçoit un coup de matraque «à la tête». L'un comme l'autre s'interrogent : avant de charger, les CRS savaient-ils qu'un homme était à terre ? «Peut-être n'avaient-ils pas vu le premier blessé ? C'est possible», souligne Pelletier. Une ligne de manifestants organise un cordon autour de la victime, dont le tee-shirt, encore fumant, dévoile un trou de plusieurs centimètres de diamètre. Une trentaine de minutes plus tard, l'homme, qui n'a jamais perdu connaissance, est évacué par les pompiers.