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Libération
Reportage

«Les populations des banlieues ne se sentent plus du tout écoutées»

A Paris, métro Château-Rouge, le 27 septembre. (Photo Edouard Caupeil)
ParMaïté Darnault
Correspondante à Lyon
Publié le 19/06/2016 à 19h51

Le quartier de Bron-Terraillon, en banlieue de Lyon, est l'une des 80 zones de sécurité prioritaire (ZSP) instaurées en 2012 par Manuel Valls. Mehdi Ghezal, 34 ans, est éducateur en prévention spécialisée. Sa mission : être proche des jeunes marginalisés ou en voie de marginalisation. Le classement en ZSP a surtout entraîné, selon lui, «une grosse pression policière, une présence massive des CRS, beaucoup de contrôles et d'incarcérations». Les effets positifs sont eux «très faibles dans la balance», surtout en matière d'insertion professionnelle, «l'un des aspects les plus importants de la demande des jeunes», dit-il.

A Bron, le taux de chômage flirte avec les 30 % chez les 15-24 ans. Sur deux cents jeunes accompagnés l'année passée par les éducateurs, deux ont pu bénéficier de contrats d'avenir. Sur le terrain, Mehdi Ghezal les incite «à prendre part à la vie politique, à se fédérer et s'engager». Mais il constate un «total décalage» entre l'élite politique «et la réalité des populations des banlieues : elles ne se sentent plus du tout écoutées ou prises en compte. A chaque fois qu'on parle d'eux, c'est toujours "Français d'origine…" ou d'autres qualificatifs. Le fossé est creusé au quotidien et il y a une grosse inquiétude sur l'avenir».

Lui a grandi dans une famille de gauche. Désormais, il se déclare «en retrait de l'échiquier politique» :«J'avais une vraie aspiration au changement après Sarkozy», mais le quinquennat de François Hollande a été «un camouflet, une déception, voire une trahison». La déchéance de nationalité a été «la goutte d'eau». Aujourd'hui, pour barrer la route au «comité des bons amis [les politiques, ndlr], tellement loin du quotidien», Mehdi Ghezal dit avoir «très envie que les idées sortent des assemblées constituantes» nées de Nuit debout. «A la primaire de la gauche, quand Montebourg proposait la nationalisation des banques pour amoindrir le pouvoir de la finance, ça me parlait vraiment.»

Selon lui, la situation actuelle va «encore plus fragiliser» ceux qu'il essaie «de pousser à exercer leur citoyenneté». Il pointe le «manque cruel de moyens» dont souffre la prévention dans les quartiers : «On porte parfois nos jeunes à bout de bras. Ça peut prendre des mois, mais ça porte ses fruits. Ils changent de vision, puis contribuent à faire changer celle des plus jeunes. Ce n'est pas visible d'emblée, mais c'est primordial.» Pour 2017, il redoute «les extrêmes» : «On en parle depuis des années, sauf que là, on n'a jamais été aussi proches, en France comme en Europe, de leur arrivée au pouvoir.»