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Libération
Analyse

Juppé et les sondages, la fin de l’état de grâce

Le maire Les Républicains de Bordeaux, Alain Juppé, le 13 juin 2016 à Bordeaux. (Photo Georges Gobet. AFP)
publié le 21 juin 2016 à 19h51

A vrai dire, personne n’en doutait. Dans le camp de Sarkozy comme dans celui de Juppé, on avait largement anticipé une nécessaire correction de l’énorme écart de popularité entre les deux candidats. Nous y sommes. Depuis début juin, plusieurs enquêtes révèlent une progression du premier et une baisse significative du second.

Selon le baromètre Ipsos-le Point, qui mesure la popularité des responsables politiques, le président de LR a regagné cinq points en un mois tandis que le maire de Bordeaux en a perdu trois. Avec 49 % d'opinions favorables auprès de l'ensemble des Français, ce dernier devance néanmoins toujours très largement son rival, désormais à 31 %.

Mais pour les sarkozystes, l'essentiel n'est pas là. Ce qui conforte leur optimisme, c'est que leur champion a rattrapé son retard auprès des sympathisants de LR. D'après le sondage Odoxa-l'Express de cette semaine, Sarkozy aurait repris la tête du classement avec 66 % d'adhésion, devant Juppé à 62 %. Une baisse de quinze points a rendu possible ce rééquilibrage. A première vue, ce dévissage est impressionnant. Il semble accréditer l'hypothèse du scénario à la Chirac-Balladur, défendu par les amis de l'ex-chef de l'Etat.«Vous verrez, nous répètent-ils depuis des mois, comme en 1995, le candidat des militants et sympathisants finira par coiffer sur le fil le préféré du "système" et des sondages d'opinion.»

Les juppéistes font bien sûr une tout autre lecture. L'un était au plus haut, l'autre au plus bas : tôt ou tard, un rééquilibrage était inéluctable. En outre, les sondages des dernières semaines mesurent la popularité, et non pas les intentions de vote à la primaire de novembre. Sur ce point, les chiffres donnent toujours Juppé très largement favori. Le 1er juin, l'enquête du Cevipof, réalisée par Ipsos auprès d'un millier de personnes certaines de voter le 20 novembre, donnait au maire de Bordeaux une confortable avance sur le chef de LR (41 % contre 27 %). Surjouant la sérénité, les principaux lieutenants de Juppé assurent qu'il n'est pas question de changer de stratégie. Leur candidat ne renoncera pas à prôner le sérieux, la réforme apaisée et l'ouverture, laissant son rival jouer la revanche et le clivage. «N'attendez pas de lui qu'il dise forcément ce que les électeurs ont envie d'entendre», insiste le maire juppéiste du Havre, Edouard Philippe.

Même s’ils s’en défendent, le maire de Bordeaux et ses soutiens devront bien se poser des questions. Comme le fait remarquer François Miquet-Marty, directeur de Viavoice, les dernières enquêtes démontrent que le statut de favori n’a rien d’une évidence. A mesure qu’il déroule son programme, très libéral sur le plan économique, Juppé perd, à gauche, les soutiens qui rendent possible son écrasante domination. Cette domination explique en partie l’ardeur des électeurs de droite : ils se tournent vers celui qui les débarrassera le plus certainement de la gauche au pouvoir. Et ils peuvent tout aussi naturellement s’en détourner si la prééminence de Juppé devient moins évidente.

Si leurs chances de succès deviennent comparables, il n’est pas sûr que les électeurs de la primaire préféreront le candidat raisonnable au bateleur passionné. C’est tout l’enjeu de la très longue campagne - trois mois ! - qui démarrera en septembre.