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Libération
A la barre

Faux humanitaire mais vrai pédophile

Sous couvert de missions humanitaires, notamment au Sri Lanka lors du tsunami de 2004, Thierry Darantière a abusé de 66 enfants. Il a été condamné à seize ans de réclusion criminelle par la cour d’assises de Versailles.
Au Sri Lanka. L'accusé a notamment sévi dans ce pays avec l'aide d'un rabatteur. (Photo Ishara S. Kodikara. AFP)
publié le 22 juin 2016 à 20h25

Une condamnation à seize ans de réclusion criminelle ainsi qu’une injonction de soins dans le cadre d’un suivi sociojudiciaire de dix ans a été prononcée mercredi soir contre Thierry Darantière par la cour d’assises de Versailles. L’ancien directeur d’une maison de retraite catholique du Pecq (Yvelines), jugé depuis lundi, était accusé d’avoir violé 66 enfants tunisiens, égyptiens et sri-lankais. Une affaire sans précédent.

Le procès a duré trois jours. Trois jours que la personnalité psychologique de Thierry Darantière est décortiquée par ses anciens collègues et les membres de sa famille. Trois jours que ses déviances sexuelles pédophiles sont exposées dans leurs détails les plus sordides. Trois jours que l'accusé est sommé d'expliquer ses actes sur des enfants âgés de 6 à 17 ans. Au total, 66 victimes mineures, 66 enfants abusés par Thierry Darantière lors de voyages «humanitaires» en Tunisie, en Egypte et au Sri Lanka. Le procès est hors norme. Le chiffre, «affolant» comme finit par le reconnaître mercredi l'accusé.

Homosexualité refoulée

Benjamin d'une famille catholique traditionnelle de trois garçons, Thierry Darantière avait tenté, lors de son interpellation en 2012, d'expliquer ses actes par une «homosexualité refoulée», qui l'aurait irrémédiablement exclu de son cercle familial. Devant la cour d'assises, l'accusé a de nouveau avancé cet argument. Mais cette fois, les parties civiles représentées par les associations Agir contre la prostitution des enfants, la Voix de l'enfant et Ecpat (End Child Prostitution and Trafficking), l'attendaient au tournant.

Ici, les faits retenus à l'encontre de Thierry Darantière portent sur des actes de pédopornographie et des viols aggravés sur mineurs, «ce qui n'a absolument aucun rapport avec l'orientation sexuelle», a insisté l'avocate d'Agir contre la prostitution des enfants. L'avocat général et les représentants des parties civiles sont revenus à plusieurs reprises sur cette nuance essentielle dans le débat, qui n'était «pas très claire en 2012», selon le président. Thierry Darantière avait alors nié «la matérialité des faits», c'est-à-dire l'acte de viol sur mineur. Comble de l'ironie, il avait déclaré avoir été initié à l'homosexualité par ces enfants «qui venaient et se donnaient à lui avec une facilité qui a troublé [son] discernement». Mais, les travaux d'analyse sur les milliers de photos et des vidéos retrouvées sur le disque dur de son ordinateur – dans lesquelles il se met en scène avec les enfants – ne mentent pas. Tout comme la lecture des témoignages de neuf victimes identifiées.

Poussé dans ses retranchements, l'accusé, en larmes, finit par reconnaître les faits mardi après-midi, avant de s'excuser devant les parties civiles qui représentent les enfants, grands absents de ce procès : la plupart des mineurs victimes n'ont pas été identifiés, et les autres n'ont pas pu venir. «Je n'ai jamais menti à la cour. A l'époque, je comprenais les faits qui m'étaient reprochés mais sans les tenants et les aboutissants. Je conçois totalement qu'il y a eu contrainte morale et physique sur ces enfants. Je n'ai aucune excuse aujourd'hui.»

«Prédateur sexuel manipulateur»

L'avocat général a insisté sur la fausse dimension humanitaire des voyages de l'intéressé, présenté comme un «prédateur sexuel manipulateur» et organisé : l'accusé s'est «fabriqué une couverture avec cet engagement humanitaire, afin de s'insérer plus facilement chez des familles qui lui faisait confiance». Le préjudice porte évidemment sur les victimes directes, «mais aussi sur la crédibilité de l'engagement humanitaire français», a-t-il ajouté. Au Sri Lanka, l'accusé approchait ses victimes à l'aide d'un «rabatteur» prénommé Nalaka. Celui-ci a depuis reconnu devant les autorités de police sri-lankaises que le quinquagénaire lui avait confié son goût pour les jeunes garçons. «Un enfant ne se prostitue pas volontairement. S'il le fait, c'est parce qu'il vit dans la misère et qu'un adulte en qui il a confiance a promis de l'aider», a rappelé l'avocate d'Agir contre la prostitution des enfants. Pour sa part, l'accusé a tenu à exprimer la «fierté» qu'il tirait de ses engagements humanitaires, qui n'étaient, pour lui, pas motivés par le reste de ses agissements.

«Pédophile un jour, pédophile toujours ?» s'est interrogé Frédéric Champagne, l'avocat de Thierry Darantière. Au cours du débat, la question de la récidive a pesé lourdement dans la balance. En 2000, Thierry Darantière avait déjà été condamné à un an de prison avec sursis pour atteintes sur mineurs, en 1994, en Autriche. S'appuyant sur le profil «instable» de l'accusé et sa capacité à réitérer ses actes, l'avocate de la Voix de l'enfant plaidait : «Je vous demande de ne pas oublier le risque qu'il représente pour les enfants, mais aussi la souffrance de ses victimes. Ils sont marqués à vie par ses actes. Il vous appartient qu'ils ne soient pas victimes une nouvelle fois.» Eventualité de la récidive sur laquelle est revenu Frédéric Champagne. Dans sa plaidoirie, il avait demandé à la cour de tenir compte du «courage des aveux [de] Monsieur Darantière», avant d'ajouter que son client «ne fera pas appel de la décision de cour d'assises».