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Libération
Récit

Les services d’ordre des syndicats pris entre deux feux

Accusés par certains manifestants de se plier aux desiderata de l’exécutif, les gros bras de la CGT et de FO défendent leur place sur le terrain.
Après les heurts du 17 juin, les syndicats étaient sous pression, jeudi. (Photo Cyril Zannetacci pour Libération)
publié le 23 juin 2016 à 20h21

Ils sont en civil, portent un brassard et veulent voir notre carte de presse avant de nous répondre. Ce ne sont pas des policiers de la BAC mais des membres des services d'ordre (SO) des syndicats, très présents lors de la manifestation de jeudi contre la loi travail. Il faut dire que la préfecture de police leur avait mis la pression, la veille, lors des rudes négociations ayant abouti à ce drôle de défilé en forme de manège de 1,6 km de long. «Les autorités voulaient qu'on protège des bâtiments, des agences immobilières qui sont sur l'itinéraire. On a refusé», raconte Jacques Girod, secrétaire général adjoint de Force ouvrière à Paris. Les SO n'étaient pas non plus sur les barrages filtrants, mis en place aux abords de la place de la Bastille, comme l'aurait souhaité la préfecture de police de Paris. «On n'est pas des collabos !» se défend-il, en référence à des slogans scandés par des manifestants non syndiqués dans de précédents défilés. Le 17 mai, des heurts avaient éclaté entre des manifestants masqués et le SO de la CGT, dont certains membres étaient équipés de bâtons, de gourdins et de matraques.

«Charlot, va !» Jacques Girod est venu avec une casquette renforcée. D'autres avec des casques de motos et des lunettes de plongée, voire des gants de moto, alors que pour les manifestants, tout équipement est proscrit et confisqué aux barrages. Chaque SO est accompagné d'un officier de liaison de la préfecture.

Au départ de la manifestation, Ahmed, fonctionnaire au ministère de la Justice dans le Val-de-Marne et membre du service d'ordre de la CGT, a rejoint l'équipe chargée d'entourer le carré de tête. Il a fait toutes les manifestations du mouvement. «Je viens pour assurer la sécurité des camarades que les forces de l'ordre n'assument pas délibérément», lance ce solide trentenaire, lunettes de piscine autour du cou. A quelques minutes du départ de la manif, il n'a pas d'appréhension particulière : «Tout est fait pour que ça se passe bien.» Le SO de la CGT s'est positionné aux deux extrémités de la passerelle du bassin de l'arsenal, autour duquel circule la manifestation. Quand le défilé passe, les visages des hommes aux brassards sont fermés. Personne ne répond. Un jeune leur lance : «Y a pas besoin de vous les gars !» Il poursuit son chemin sans entendre la réplique d'un grand baraqué du SO : «Sans nous, il y avait pas de manif aujourd'hui ! Charlot, va !»

Le service d'ordre de FO est, lui, chargé de sécuriser les deux virages du parcours qui ramène le défilé à la Bastille. Un cortège hétéroclite, sans drapeau, s'est entre-temps formé devant le carré. Le groupe de quelques centaines de personnes veut aller tout droit. Problème : ils font face à des grilles antiémeute surmontées d'un canon à eau. Les SO se placent 30 mètres devant les forces de l'ordre pour faire tourner le cortège syndical sans qu'il s'en approche. Lorsqu'il passe, des manifestants huent le barrage syndical en criant : «Une manifestation, c'est pas tourner en rond !» Un membre du SO se justifie auprès d'un militant : «On est là pour faire retirer la loi.»

«SO, fachos !» Avec ses comparses à gros bras de la CGT, Ahmed est venu en renfort de FO dans le virage. Il accuse les forces de l'ordre de «provoquer» les manifestants. Quand un collectif féministe «issu des luttes du syndicalisme de précaires», le Glumf, chante «SO-Patrons, même combat», puis «SO, fachos, on aura ta peau», Ahmed ne cille pas : «On sait pourquoi on est là, on assure même leur sécurité.» Le passage de ses camarades de la CGT Val-de-Marne sera plus chaleureux. Le micro demande de les acclamer. Applaudissements. A 15 h 43, tous les camions de la CGT sont passés. Le SO quitte le virage et remonte le défilé jusqu'à la Bastille. Brassard CGT au bras, D., qui ne veut pas donner plus qu'une initiale de son prénom, trouve que «la manif s'est bien déroulée» et s'en réjouit : «On est fatigués. Depuis trois mois, il y a presque deux manifs par semaine.» La prochaine est prévue mardi.