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Libération
Éditorial

Sur la loi El Khomri, le Front national incapable de travailler en équipe

publié le 23 juin 2016 à 20h36

«Les positions économiques du Front national ? On ne les connaît pas, tellement il y a à boire et à manger», jugeait un entrepreneur présent au «rendez-vous de Béziers», ce colloque de la «vraie droite» organisé fin mai par Robert Ménard. A coup sûr, l'attitude du Front national vis-à-vis de la loi travail n'aura pas dissipé cette perplexité. La position officielle du parti est pourtant simple : opposé à une loi «dictée par Bruxelles», le mouvement d'extrême droite réclame son retrait pur et simple. Dans le détail, toutefois, les choses sont moins claires, tant revirements et contradictions se multiplient parmi les figures frontistes. Signe d'un certain opportunisme, mais aussi d'une diversité interne que le parti tente vainement de glisser sous le tapis.

Dernier exemple en date : la tenue ou non du défilé syndical organisé jeudi. Le 20 mai, sur Europe 1, Marine Le Pen se déclarait favorable aux interdictions de manifestation : «En situation d'état d'urgence, il n'y a pas de manifestation», tranchait-elle. Un mois plus tard, volte-face : «Moi je respecte la loi et notamment les grandes libertés publiques», a finalement décidé la présidente du FN sur TF1, mardi soir.

Le Front national est-il plus cohérent sur le fond du débat ? Derrière l'unanime rejet de la loi travail, le choix des mots varie beaucoup selon l'orateur. Tandis que Marine Le Pen et Florian Philippot dénonçaient un «choc de précarisation» pour les salariés, le vice-président, Louis Aliot, jugeait que, même décevante dans son contenu, la loi était «issue de bonnes réflexions du monde de l'entreprise». De leur côté, les députés Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard déploraient par communiqué que la loi n'aille pas assez loin et laisse subsister de «multiples entraves à l'embauche et à l'investissement». Comble de la confusion : le sort de ces amendements préparés par les parlementaires frontistes et visant à modifier le texte dans un sens favorable aux chefs d'entreprise. Des contributions finalement retirées sur ordre de la direction frontiste : «trop libéraux» et inutiles, puisque le FN exige le retrait de la loi et pas son «amélioration».

En fait de ligne économique, c'est donc une étonnante cacophonie qu'a affichée le Front national. C'est que la position du parti est délicate. Ses sympathisants sont largement hostiles à la loi El Khomri : selon une récente enquête Ifop, 72 % d'entre eux jugent «justifié» le mouvement de protestation contre celle-ci, contre 59 % pour l'ensemble des sondés. Ce sentiment est relayé à la tête du FN par son numéro 2, Florian Philippot. Mais une partie des cadres frontistes, sceptique vis-à-vis du slogan «ni droite, ni gauche», lui préférerait un positionnement plus identitaire et libéral.

Conséquence : au Front national, on aura entendu tout et son contraire. Une habitude chez ce parti chantre de la laïcité, mais aussi des racines chrétiennes de la France ; opposé au mariage homosexuel, mais «bouclier» des minorités sexuelles face à l'islamisme ; ou encore, comme l'a expliqué Florian Philippot sur France Inter, jeudi, «ni libéral, ni pas libéral».

Ce grand écart n’empêche certes pas le FN de multiplier les performances électorales, tant la répulsion est aujourd’hui forte vis-à-vis de ses concurrents. Mais outre que la négation systématique par le Front de ces divergences confine au ridicule, elles le contraignent à des «synthèses» aussi précaires qu’improbables.