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Libération
Retraite

Etienne Caniard quitte la présidence de la Mutualité

Il a traversé tous les grands enjeux de la santé moderne de ces trente dernières années. Homme de gauche convaincu, fervent artisan de la démocratie sanitaire, Etienne Caniard a quitté, ce jeudi, la présidence de la puissante Mutualité française.
Etienne Caniard en compagnie de François Hollande, lors du 41ème congrès de la Mutualité française, organisé à Nantes le 12 juin. (Photo Georges Gobet. AFP)
publié le 24 juin 2016 à 15h41

Etienne Caniard est parti, comme il l’avait annoncé, dans l’élégance. Ce jeudi, lors de l’assemblée générale de la Mutualité française, Etienne Caniard ne s’est pas représenté, et Thierry Beaudet a été élu à la présidence du mouvement mutualiste. Le soir même, il y avait un gala d’adieu au Musée Bourdelle, où se sont retrouvés tout le ban et l’arrière-ban, non seulement du monde la santé, mais aussi du syndicalisme ou du monde politique, dont la présence de quatre ministres.

Bien sûr, cette affluence tenait à l’importance du milieu mutualiste, qui regroupe 426 mutuelles et revendique 38 millions d’adhérents, mais aussi à la personnalité attachante et très libre d’Etienne Caniard. Voilà quelqu’un qui, depuis trente ans, dans ses différentes fonctions, a traversé les grands défis du monde de la santé et de la couverture sociale. D’origine modeste, diplômé de l’Ecole nationale des impôts, Etienne Caniard a toujours détonné dans ce petit monde des hauts dirigeants, où il faut avoir des idées péremptoires et développer un goût du pouvoir sans limite. Ce n’est pas son cas, et nombreux sont ceux qui estiment qu’il est dommage que ces dernières années, la gauche officielle comme le monde de la santé ne l’aient pas écouté plus souvent.

Regrets

Etienne Caniard a été l'un des artisans de cet événement majeur que fut en 1999 l'organisation des Etats généraux de la santé, avec plus de mille débats à travers la France, et qui aboutit à la loi sur les droits des malades. «Pour la première fois, des débats ont échappé à ceux qui les organisaient», raconte-t-il (1), «et on a vu des malades, des patients, dire haut et fort que ce n'est pas de cela qu'ils voulaient parler. Ils voulaient parler du diagnostic, du retour à l'emploi, des médecins qui ne nous parlent pas».

Pour lui, dans un univers complexe, débattre est une obligation démocratique. Et l'Etat doit assumer un rôle de régulation, bien plus qu'un rôle de décisions. Après avoir été longtemps membre du collège de la Haute Autorité de santé, il a présidé, ces six dernières années, la Mutualité française, à une époque particulière où le vent a tourné, et où l'idée dominante s'est diffusée que derrière la mutualité se cachait l'arrivée sournoise du monde de l'assurance privée. Drôle d'époque où, parallèlement, les pouvoirs publics se sont refusés à tenter de mettre à plat un système de gouvernance totalement dépassé de notre couverture sociale. «Les mutuelles sont devenues indispensables. La Sécurité sociale ne suffit plus, c'est une réalité, même si beaucoup le regrettent dans cette salle plus qu'ailleurs», a défendu le président de la Mutualité à quelques heures de la fin de son mandat. Devant la ministre de la Santé, Marisol Touraine, Etienne Caniard a dit ouvertement ce qu'il répète depuis des mois, à savoir ses regrets que les véritables sujets, comme «l'augmentation du reste à charge, le rôle et la part des complémentaires santés ainsi que les difficultés d'accès aux mutuelles sont souvent évitées et contournés». «L'organisation de l'offre de soins et l'architecture de la protection sociale restent étrangement figées, notamment sous le poids de l'inertie des acteurs et parfois des pesanteurs institutionnelles.»

Comment lui donner tort, quand on assiste ces dernières semaines à ces débats surannées autour de la nouvelle convention médicale entre l’Assurance maladie et les syndicats des médecins libéraux ?  Comme si aujourd’hui une convention nationale avait un quelconque sens alors que tout l’enjeu est de régionaliser au plus près la gestion et les projets de santé.

«Comment la médecine libérale n’a-t-elle pas compris que tout a changé»

On en est là, avec des postures et au final un immobilisme inquiétant. Etienne Caniard, ces dernières semaines, avouait sa déception. «Comment la médecine libérale n'a-t-elle pas compris que tout a changé, que s'accrocher comme elle le fait par exemple à la liberté d'installation est un non-sens ? Elle doit se refonder sur de nouvelles valeurs», nous disait-il. A l'heure des maladies chroniques et du parcours de soins, la médecine libérale a en effet totalement failli, et elle continue comme avant.

«Madame la Ministre de la santé a raison de rappeler que jamais les remboursements de la Sécurité sociale n'ont été aussi importants, a rappelé encore Etienne Caniard dans son dernier discours. «Mais ce qui est vrai pour les soins les plus lourds, pour l'hôpital, ne l'est plus pour les soins courants. Il est aujourd'hui de plus en plus difficile de se soigner sans mutuelle. Celles et ceux qui en sont privés renoncent deux fois plus aux soins que le reste de la population. Les mutuelles sont devenues indispensables. La Sécurité Sociale ne suffit plus, c'est une réalité.» Manuel Valls lui a répondu, hier, lors de l'assemblée générale, se dédouanant en attaquant essentiellement les projets des candidats de droite sur la santé.

Etienne Caniard ne quitte pas ses fonctions pour des raisons politiques, mais pour des raisons de santé. Depuis quelques années, il perd peu à peu l'ouïe. «Jusqu'à présent, j'arrivais à compenser, mais c'était épuisant. Là, je pourrais craindre de mettre en danger la Mutualité», nous dit cet «homme juste», comme le qualifient ses amis.

(1) «Mieux soignés demain !», par Etienne Caniard, Le Cherche-Midi, 16 euros.