Un homme a giflé une femme, affirme-t-elle. Elle a déposé plainte, il a comparu mardi devant le tribunal correctionnel de Nanterre et le procureur a requis contre lui deux mois de prison avec sursis et 3 000 euros d’amende. Le jugement sera rendu le 6 septembre.
L’histoire tenait en trois lignes. Sauf que la femme est avocate, l’homme commissaire à la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et que l’altercation s’est produite au quatrième sous-sol des locaux du service de renseignement intérieur, à Levallois (Hauts-de-Seine). Le tout en marge d’une garde à vue antiterroriste, dans une zone grise comme les affectionnent les agents du service et particulièrement le commissaire prévenu, dont il faut taire le nom. Son identité est protégée par la loi, quiconque la révèle s’expose à des poursuites, menace en préambule Thibault de Montbrial, conseil du commissaire.
Le 1er avril 2014, un suspect, présenté à l'audience comme le facilitateur du Hezbollah en France est interpellé et interrogé pour ses liens supposés avec l'auteur d'un attentat en Bulgarie. Une avocate désignée par le barreau l'assiste. Le suspect ne parle pas. En début d'après-midi, après le second interrogatoire, les deux officiers de police judiciaire préviennent leur chef qu'ils n'arrivent à rien. C'est là que le commissaire entre en scène. Il débarque, prend le suspect et l'avocate dans une salle à part pour créer «un climat plus intime», s'est-il justifié à l'audience. En dehors de toutes les règles de procédures, rétorqueront les avocats de la partie civile.
Quand le commissaire tente de convaincre le suspect de parler, en lui assurant qu'il ne risquait pas d'être mis en cause, la discussion monte dans les tours. La faute à l'avocate «cassante et méprisante», assure le commissaire. Parce qu'elle s'est étonné que, dans ces conditions, son client soit en garde à vue et a promis d'en faire état dans une note, réplique l'avocate. Le commissaire se lève et sort brusquement du bureau, furax, comme le montre la vidéosurveillance du couloir, diffusée à l'audience. Avant de quitter la pièce, il a traité de «petite conne» et gifle l'avocate, selon cette dernière. Ce que dément inlassablement le commissaire, devant la police des polices, le juge d'instruction et mardi devant le tribunal correctionnel.
Le glaive et le garde-fou
«Ça fait deux ans que je suis en butte à ses élucubrations», lance le flic proche de la soixantaine, droit dans son costume noir à cravate rayée, bien décidé à «défendre son honneur». Que le gardé à vue, seul témoin direct, ait confirmé la version de l'avocate ne le fera pas bouger d'un iota. Le «brouhaha» entendu par les deux agents dans la pièce à côté, il l'attribue à son départ – «c'est vrai, brutal» – mais nie avoir «levé la main» sur elle. Pourquoi une avocate inventerait-elle une histoire pareille, interroge le président ? Le gradé doit bien avouer qu'il n'en sait rien et qu'il s'en fiche un peu : «Permettez-moi de la laisser à ses propres turpitudes.»
Lorsque l'avocate de 40 ans parle à la barre, le regard sombre du commissaire, encadré par des montures épaisses, ne la lâche pas. Elle explique être «gênée de se retrouver au centre d'un événement pareil [qui] jette le discrédit sur toutes nos fonctions» et a requis l'anonymat. Le procureur aussi se serait bien passé de cette affaire de «violences volontaires par une personne dépositaire de l'autorité publique sur un avocat dans l'exercice de ses fonctions». Soit l'affrontement du «glaive» (la police judiciaire) et du «garde-fou» (les avocats) de la justice. Il écarte rapidement la relaxe – que plaidera Me de Montbrial – en raison des témoignages directs et indirects, de la constance de la partie civile qu'il oppose aux évolutions de la version du commissaire.
Dans sa plaidoirie pour la partie civile, Jean-Yves Liénard a tout autant regretté que l'histoire soit allée si loin : «Il est regrettable de ne pas avoir eu le courage de dire : "J'ai perdu mes nerfs, j'ai eu une, deux, dix secondes de faiblesse." Le policier ne s'est pas appartenu pendant quelques secondes. Nous sommes tous faibles un jour.»