Paris, 14 heures, place de la Bastille : le cortège syndical – qui réunira près de 15 000 personnes selon les autorités (64 000 dans toute la France) – va bientôt s'élancer. La mobilisation a un peu faibli depuis le 23 juin. Un début de lassitude a fini par s'installer. «La stratégie de la peur adoptée par le pouvoir fonctionne, estime Matthieu, de la CGT Cheminots de Versailles. Et puis on est fatigués.» Même constat d'un militant de l'Unef : «On est moins nombreux, c'est bientôt les vacances scolaires et la répression policière en a démotivé certains.»
Pour accéder à la manifestation, il faut effectivement montrer patte blanche : 2 500 policiers et gendarmes ont été mobilisés. Le périmètre est verrouillé, les sacs vérifiés en amont. «Ils feraient mieux d'utiliser les forces de l'ordre pour arrêter les casseurs ou contrôler les visas pour le Panama ou la Suisse», raille Matthieu. «C'est Fort Knox ici, on est presque plus fouillés qu'à l'entrée des fan-zones et des stades», abonde Pierre Laurent, numéro 1 du PCF. Au centre de la place, Guillaume, 35 ans, est assis à côté de sa pancarte : «On manifeste où on veut, quand on veut, enfoirés.» Lui veut «donner l'exemple, montrer qu'on peut manifester pacifiquement.» Dans le cortège le mot d'ordre ne varie pas : retrait de la loi travail, ou à tout le moins de son article 2, qui pose le principe de l'inversion de la hiérarchie des normes.
Deux heures plus tard, en tête de cortège, les esprits s'échauffent. Des projectiles volent en direction des forces de l'ordre, des grenades lacrymogènes retentissent, le gaz fait couler les yeux et le nez. Au milieu du tumulte, Lisa, 18 ans, tee-shirt sur le visage et lunettes de piscine sur le front, s'énerve contre ce gouvernement qui «n'écoute pas son peuple». En fin d'après-midi, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, annonçait une nouvelle journée de mobilisation pour le 5 juillet, jour du retour du texte à l'Assemblée nationale. Trente-neuf personnes seront interpellées en marge du cortège, dont 27 sur les points de filtrage, selon la préfecture de police.
Un peu plus tôt, dans la matinée, une grosse centaine de personnes, opposées à la manif officielle «en cage», s'étaient réunies à la Bourse du travail, dans le Xe arrondissement. Avant d'être encerclées, vers midi, par la police. Condition imposée par les forces de l'ordre pour les laisser sortir : accepter d'être fouillés individuellement. Une demande refusée par le petit groupe, qui restera «nassé» toute la journée.