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Décryptage

Loi travail : l’exécutif fait de modestes concessions et vise un vote rapide

Pressé d’en finir, le gouvernement lâche un peu de terrain sur les branches, sans changer le cœur du texte. Objectif : une adoption prochaine, via le 49.3 s’il le faut.
Jean-Claude Mailly est reçu par Manuel Valls à Matignon ce mercredi 29 juin, en présence de la ministre du Travail Myriam El Khomri. (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 29 juin 2016 à 20h01

Troisième retouche du gouvernement sur le projet de loi travail en moins de quatre mois. A quelques jours du retour du texte à l’Assemblée nationale, le 5 juillet, et alors qu’un nouveau ballet de rencontres bilatérales s’est enclenché, mercredi et jeudi, entre Matignon et les partenaires sociaux, l’exécutif s’apprête à faire de nouvelles concessions. Mais sans bouleverser le texte, ces modifications restant essentiellement formelles.

Que va proposer le gouvernement ?

Selon la ministre du Travail, Myriam El Khomri, interviewée par le Monde, l'exécutif va déposer, avec le rapporteur Christophe Sirugue, plusieurs amendements. Premier changement : «Dans les cas où la loi ne prévoit pas la primauté de l'accord d'entreprise, nous souhaitons qu'au sein de chaque branche, employeurs et syndicats négocient pour définir les thèmes sur lesquels un accord d'entreprise ne pourra pas déroger à l'accord de branche», explique la ministre. Autrement dit, ce qui ne sera pas interdit sera autorisé… Myriam El Khomri le reconnaît d'ailleurs elle-même : «Ce que nous proposons ne modifie en rien l'importance que nous souhaitons donner à l'accord d'entreprise, mais réaffirmera le rôle de la branche.» Deux nouveaux thèmes, cependant, en plus des quatre actuels, relèveront nécessairement de la branche : l'égalité professionnelle et la pénibilité. Le gouvernement, par ailleurs, s'engage à renforcer le rôle des syndicats et du patronat dans la réécriture du reste du code du travail (le projet actuel n'a trait qu'à la durée du travail), qui doit intervenir d'ici deux ans. La commission chargée de cette réécriture «doit associer les partenaires sociaux à ses travaux», explique la ministre, qui veut confier cette mission au Haut Conseil du dialogue social.

Est-ce suffisant pour satisfaire les syndicats opposés au texte ?

Après son rendez-vous à Matignon, Laurent Berger, le numéro 1 de la CFDT, s'est dit «satisfait» des amendements, car le «cœur de la loi» n'est pas touché. Rien de surprenant, puisque ces derniers vont largement dans le sens de la centrale dite «réformiste», qui proposait de «réaffirme[r] le rôle de régulation des branches». Même chose pour la CFTC : «Les clarifications sur les accords de branche sont utiles pour rassurer les salariés.»

Plus inattendu, en revanche, Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, pourtant fer de lance, avec la CGT, de la contestation, souligne lui aussi les «progrès» obtenus. «Le projet de loi ne parlait pas de la branche et on pouvait craindre qu'un mouvement de fragilisation de celle-ci soit engagé. Il s'agissait donc de la réhabiliter de manière générale», explique-t-il. De quoi donner un peu d'air au gouvernement. Le leader syndical s'est même attribué la paternité de ces avancées et refuse, pour l'instant, de se prononcer sur la prochaine journée d'action du 5 juillet.

Au sommet de l'Etat et au sein du PS - où Mailly compte de nombreux amis - tout a d'ailleurs été fait, ces dernières semaines, pour «décrocher» FO. «C'est le coin que tout le monde rêvait d'enfoncer dans le front syndical», résume un conseiller ministériel. La série de rendez-vous avec les syndicats à Matignon participe de cette volonté de décrispation. «Il faut éviter le côté "droit dans ses bottes", sans altérer notre texte», analyse un proche du chef de l'Etat, dont l'entourage reste d'une extrême prudence : «Des sorties de crise, on a cru en voir plusieurs depuis quatre mois…» Quant à la CFE-CGC, elle demande «que le temps de travail et la rémunération soient mis sous le contrôle de la branche». Une manière polie de réaffirmer son opposition. Sans surprise, Philippe Martinez (CGT) a, lui, réaffirmé son «profond désaccord», considérant que les «petites avancées sont très loin du compte».

Majorité rabibochée ou passage en force ?

«Socialistes ou syndicalistes : tout le monde est fatigué, constatait une ministre la semaine dernière. Il faut en finir même si cela veut dire passer par un trou de souris.» D'où ces nouveaux amendements. Mais suffiront-ils à désamorcer la fronde au sein du groupe socialiste à l'Assemblée - qui s'empare de nouveau du texte mardi - et donc à éviter un nouveau 49.3 ? Les frondeurs, qui ont demandé un «temps de réflexion» à El Khomri, parlent aujourd'hui d'un horizon «désobscurci». Pour un dirigeant socialiste, la décision des frondeurs repose sur d'autres considérations que la loi, comme «la primaire et la menace d'exclusion du PS en cas de nouvelle motion de censure». De quoi faire rentrer tout le monde dans le rang ? Malgré cela, un pilier de l'Assemblée pronostique un nouveau 49.3 «pour de simples contraintes de temps», car le texte doit faire un aller-retour entre l'Assemblée et le Sénat en quinze jours, avant la fin de la session extraordinaire du Parlement. «Si tout le monde se met d'accord sur la nouvelle version, ajoute-t-il, plus personne ne pourra crier au déni de démocratie.»