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Libération

LuxLeaks : les «motivations nobles» mais punies du lanceur d’alertes

publié le 29 juin 2016 à 19h51

Minimum syndical. Le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a condamné mercredi le lanceur d’alerte français Antoine Deltour à douze mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende. La justice grand-ducale ne pouvait pas faire autre chose que le condamner, son code pénal prohibant le viol du «secret des affaires». Il risquait même jusqu’à cinq ans de prison ferme, car le Luxembourg ne rigole pas avec ces choses-là.

Mais une condamnation trop lourde du «citoyen européen de l'année 2015» (distinction décernée par le Parlement européen en pleine procédure pénale) aurait suscité un tollé international. Le jugement lui reconnaît ainsi une part de bonne foi : «Il indique avoir eu conscience de violer la confidentialité à laquelle il était soumis, mais agi par conviction que certaines pratiques d'optimisation fiscale agressives sont contraires à l'intérêt général.» Il lui décerne même le brevet de lanceur d'alerte, «pour couper court à toute discussion superflue car après l'éclatement du scandale LuxLeaks et ses conséquences mondiales, on ne peut sérieusement admettre le contraire».

Mieux encore, le jugement lui accorde un bon point : «Il est incontestable que les divulgations relèvent de l'intérêt général, ayant eu pour conséquence une plus grande transparence et équité fiscale.» Mais malgré ses «motivations nobles», le délit est «parfaitement établi».

La justice luxembourgeoise s'est également évité une polémique en relaxant purement et simplement le journaliste Edouard Perrin (de l'agence Première Ligne, productrice de l'émission Cash Investigation sur France 2). Son jugement relève qu'un «journaliste n'est pas le gardien du secret des affaires»… Point barre.

Il est ici question du secret des affaires du cabinet PriceWaterhouseCoopers (PWC), l’un des «big four» de l’audit, dont l’une des tâches consiste à négocier avec le fisc local - qui se résume à un seul haut fonctionnaire - des arrangements aux petits oignons au profit des cadors de la mondialisation immatriculés au Grand-Duché.

En mettant sur la place publique 400 de ces «rescrits fiscaux» (accords secrets), sur quelque 47 000 pages de données, Antoine Deltour, ancien salarié de PWC désormais fonctionnaire au ministère français des Finances, et Edouard Perrin lui auraient causé un préjudice considérable, que le cabinet s’est bien gardé de chiffrer avant de réclamer l’euro symbolique. Et pour cause, depuis ces révélations, son chiffre d’affaires ne cesse de progresser… D’autant plus qu’aucun de ses prestigieux clients fiscalement dévoilés n’a jugé utile de porter plainte. PWC aura toutefois son euro, Antoine Deltour et Raphaël Halet (autre ancien auditeur ayant informé France 2, mais dans une moindre mesure) étant condamnés à le verser «solidairement».

Pour le principe, et au titre plus général de la protection des lanceurs d’alerte, Antoine Deltour pourrait être tenté de faire appel, voire de pousser les recours jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déjà eu l’occasion de reconnaître leur bonne foi.