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Elysée

Les sondeurs en pleine introspection

Poursuivis en tant que personnes morales, les instituts Ipsos, Ifop, Sofres et Opinion Way ont détaillé devant les enquêteurs quelques dessous du métier. Extraits.
Trois Européens sur quatre pensent que la crise dans leur pays va encore s'aggraver dans l'année qui vient, selon une étude Ipsos/CGI menée auprès de 6.000 personnes et commandée par le groupe Publicis, qui parle d'une "situation sombre et d'un avenir bouché". (Photo Joel Saget. AFP)
publié le 30 juin 2016 à 15h39

Petites salades entre sondeurs. A les entendre, travailler pour l'Elysée serait marginal, en termes de business ; mais aussi essentiel, en termes de réputation. Cela transparaît dans leurs différentes auditions devant les enquêteurs (policiers puis magistrats) auxquelles Libération a eu accès.

Primus inter pares, Ipsos truste depuis longtemps l'essentiel des sondages commandés par la présidence de la République. «Depuis François Mitterrand, nous sommes le principal fournisseur», s'enorgueillit son directeur général, Patrick Bergen. Ce qui lui vaut d'être le seul à être mis en examen en tant que personne morale, ses concurrents, Ifop, Sofres et Opinion Way, n'étant que témoins assistés pour s'être partagés les miettes (1). Avec juste cette malheureuse parenthèse sous Jacques Chirac en 2005, suite à l'échec du référendum européen qu'Ipsos n'avait su anticiper. Son patron morigène alors ses troupes : «Vous vous rendez compte de ce que l'on perd ?»

Lors de la présidentielle 2007, Ipsos a deux fers aux feux. L'une de ses équipes, dirigée par Pierre Giaccometti, conseille la candidature Sarkozy, un autre se met au service de l'équipe Royal, de quoi s'attacher la reconnaissance de l'un ou l'autre une fois élu. Durant la campagne, Nicolas Sarkozy en veut surtout à TNS-Sofres, en charge du panel de téléspectateurs de l'émission J'ai une question à vous poser, sur France 2. La première diffusion avec Sarko se passe bien, puis en préparation de celle avec Ségo, une association de défense des handicapés réclame d'en faire partie. D'où cette scène émouvante, ou la candidate socialiste met la main sur l'épaule d'un handicapé manifestement submergé par l'émotion. Témoignage de Brice Teinturier, alors dirigeant de la Sofres, devant les enquêteurs, évoquant «l'hystérie de l'UMP pensant qu'on leur avait fait une crasse avec cette présence d'un handicapé». Une fois élu, Nicolas Sarkozy l'accusera d'avoir personnellement «vérolé l'émission».

«Des liens antérieurs à l’élection de Nicolas Sarkozy»

Ironie de l'histoire, Brice Teintutier sera ensuite nommé directeur général d'Ipsos, le sondeur privilégié des présidents. D'où ce mail interne du concurrent Ifop, déniché par les enquêteurs, qui se pourlèche les babines : «Avec l'arrivée de Brice, Ipsos risque d'être hors-jeu à l'Elysée et à l'UMP. On a tout à gagner de la situation qui se profile.» Pour la petite histoire, l'actuel président de l'Ifop, Stéphane Truchi, est lui-même ancien directeur général d'Ipsos, au côté de Pierre Giaccometti. Sous la nouvelle casquette, il a témoigné en février dernier : «Effectivement, il y a des liens historiques entre Ipsos et les différents présidents de la République. Ces liens, antérieurs à l'élection de Nicolas Sarkozy, étaient connus de toute la profession.»

Giaccometti, sous sa casquette de DG d'Ipsos, négociera un contrat sitôt Sarko élu, dès mai 2007, avec ces mots aimables : «Après ta formidable victoire, je suis plus encore dans la volonté de poursuivre notre relation, pour réussir ton mandat et préparer, un jour peut-être, les conditions de ta réélection.» Simple «tentative de restaurer ce que nous avions sous Chirac et Mitterrand», tempère l'actuel patron d'Ipsos. Une fois le contrat signé, Giaccometti démissionnera d'Ipsos (nonobstant l'encaissement d'une clause anticoncurrence) pour se mettre à son compte, en tant que conseiller personnel de Nicolas Sarkozy. Fonction qu'il exerce aujourd'hui encore à l'UMP. Mais, précise-t-il désormais, «à titre bénévole».

Ultime parole de sondeur, faisant mine de s'apitoyer sur son sort. Evoquant «ce point de crispation aux alentours du vendredi à 17 heures, moment ou les questions élyséennes arrivaient. A la confiance, par mail ou téléphone en fonction de l'urgence». Qui paie commande.

(1) Sur les deux premières années du quinquennat Sarkozy, Ipsos a engrangé des contrats pour 1,2 million d'euros, contre 65 000 pour la Sofres, 62 000 pour Opinion Way et 11 500 pour l'Ifop.