Menu
Libération
Droit de suite

Le parquet, avocat fiscaliste de la Société générale

Trois médias exhument un document confirmant la proximité entre le parquet de Paris et la banque dans le traitement de l'affaire Kerviel. L'entreprise avait-elle le droit de bénéficier d'un crédit d'impôt de 2,2 milliards d'euros en se dédouanant des pertes imputées à son ancien trader ?
L'entrée des bureaux de la Société générale, à la Défense, en 2014. (Eric Piermont. AFP)
publié le 1er juillet 2016 à 13h51

Encore un scud contre la Société générale dans l'affaire Kerviel. Vendredi matin, 20 Minutes, Mediapart et France Inter ont dévoilé un ultime document compromettant pour la banque : rédigé en mai 2008 par un membre de la section financière du parquet de Paris, il recommandait à sa hiérarchie judiciaire de saisir Bercy afin de vérifier si la banque avait bien qualité de victime. Ce serait «nécessaire», écrivait-il, avant que son rapport ne soit mis au pilon – mais «reconstitué après avoir été passé à la broyeuse», précise 20 Minutes… – sans être suivi d'effet.

On est au cœur de l’affaire Kerviel, qui dans un premier temps a fait gagner 1,5 milliard d’euros à son employeur, lequel ne voyait alors pas malice à tous ses dépassements de seuil d’investissement, puis l’a fait plonger de 6,4 milliards, la banque se réveillant subitement. Est-elle un peu, beaucoup ou pas du tout responsable des dérives de son trader ? Bercy a semblé préjuger très rapidement, en lui accordant dans la foulée un crédit d’impôt sur un tiers de la paume imputée à Jérôme Kerviel, soit près de 2,2 milliards. Mais ce type de ristourne fiscale n’est accordé qu’en cas de pertes dont l’entreprise ne serait pas directement responsable.

«Trader fou»

Dans un premier temps, la justice pénale a paru suivre le raisonnement de Bercy, condamnant en première instance puis en appel Jérôme Kerviel à verser 4,9 milliards de dommages et intérêts (6,4 milliards de perdus, 1,5 milliard gagné), avant que la Cour de cassation n'ordonne de refaire le match sur ce point. C'était l'objet du procès en appel en juin, la cour de Versailles devant rendre sa décision le 23 septembre.

A l'audience, le procureur général, Jean-Marie d'Huy, a requis de débouter la banque de toutes ses demandes, dénonçant sévèrement ses négligences : «La Société générale n'a rien entrepris pour se prémunir d'un trader fou, elle a commis suffisamment de fautes pour contrarier la perte totale de son droit à réclamer des dommages et intérêts, la décision à venir doit être un message fort adressé aux banques pour éviter que de tels faits ne se reproduisent.» Un peu déboussolés, les avocats de la Générale avaient dû admettre des «manquements et carences graves» de son contrôle interne, MMartineau suggérant au mieux de «partager l'indemnisation»… Et Me Veil d'entrevoir ce scénario fiction : la banque remboursera l'Etat des 2,2 milliards si Kerviel était condamné à lui en verser 4,9…

Qu'attend le ministère des Finances pour se réveiller ? Le député PS Yann Galut a alerté Michel Sapin à plusieurs reprises pour lui demander «de se saisir immédiatement du dossier et d'envisager les conditions de restitution à l'Etat des 2,2 milliards perçus indûment par la Société générale». Sans grand résultat jusqu'à présent. Car si le parquet, au départ «complètement sous la coupe des avocats de la banque», selon le témoignage indirect de l'une de ses membres – également révélé par 20 Minutes et Mediapart – a depuis révisé son jugement, Bercy paraît assurer parfaitement la continuité. Du moins jusqu'au 23 septembre.