«Michel Rocard me convoque dans son bureau de Matignon. En 1990, au sein du cabinet, je m’occupe des relations avec le Parlement, de la jeunesse et des sports. Homme de passions, il me demande de rédiger une lettre au Comité international olympique visant à faire reconnaître le vol à voile comme sport olympique lors des Jeux de Barcelone, deux ans plus tard. Il aimait cette discipline pour son aspect scientifique et technique - il étudiait les mouvements d’air, les courants, la météo - et pour le silence qu’il disait trouver là-haut. Son pouvoir de conviction n’a pas marché avec moi sur ce sujet : vous ne me ferez jamais monter dans un avion sans moteur. En 1991, le CIO est en France pour inspecter les installations d’Albertville. N’ayant pas eu de nouvelles, Michel Rocard me demande d’aller plaider la cause du vol à voile auprès de Juan Antonio Samaranch. Moi, le Catalan, il me pousse vers l’un des plus solides piliers du franquisme ! Samaranch me répond qu’il a bien reçu la lettre mais que ce n’est pas possible. Peut-être le Premier ministre espérait-il pouvoir concourir lui-même si le vol à voile devenait discipline olympique ? Qui sait…
«Ce qu'il entreprenait, il le faisait entièrement, totalement. C'était un intellectuel qui décortiquait les sujets les uns après les autres, de la production des vaches laitières indiennes quand il était ministre de l'Agriculture à l'avenir des pôles. Il pouvait être déconcertant. Comme en 1987, lors d'une réunion des jeunes rocardiens où tous rêvaient de l'entendre annoncer sa candidature face à Mitterrand et espéraient qu'il parle de stratégie politique. Au lieu de ça, il a disserté cinquante minutes sur le dernier livre de l'un de ses auteurs préférés, Arthur Koestler, Janus. C'était un ouvrage difficile d'accès mais Michel Rocard était un intellectuel construit et exigeant, pas un romantique. Cela dit aussi une forme de décalage politique sur son rapport à la conquête.»