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Libération
Les héritiers

Manuel Valls, l’héritier qui ne l’est pas vraiment

Manuel Valls avec Michel Rocard, le 6 septembre 1985, lors de l'université d'été des jeunes rocardiens, aux Arcs. (Photo Armel Brucelle. Sygma)
publié le 3 juillet 2016 à 21h01

L'aveu est d'Yves Colmou, l'homme qui fait - physiquement et politiquement - le trait d'union entre Michel Rocard et Manuel Valls. Pour l'ancien leader des étudiants rocardiens, membre des cabinets Rocard dans les années 80 devenu le conseiller politique de l'actuel Premier ministre, «Manuel, c'est une façon d'être rocardien». Comprendre un héritier politique sur la forme, mais très différent sur le fond. Un hybride qui réussirait la fusion entre la vérité et l'autorité, le réformisme et le républicanisme dans l'espoir - enfin - de «gouverner dans la durée», le mantra vallsiste (et rocardien) depuis qu'il est arrivé à Matignon en 2014.

«Je me sens un peu orphelin», a confié Valls dès l'annonce de la mort du père de la «deuxième gauche» pour qui il est entré en politique à la fin des années 70. A l'époque, les socialistes viennent de perdre les législatives. Giscard reconduit Barre à Matignon. Le lycéen Valls, qui n'est pas encore français et ne pourra pas voter à la présidentielle de 1981, est devant sa télévision quand Rocard théorise qu'il «n'y a pas de fatalité à l'échec de la gauche». Son choix est fait. Avec ses amis de Tolbiac, Stéphane Fouks et Alain Bauer, il s'embarque dans les Clubs forum, le nom des jeunes rocardiens. «C'était un choix courageux, se souvient Jean-Marie Le Guen, ex-responsable du Mouvement de la jeunesse socialiste qui a essayé de les faire «venir dans le giron mitterrandien avant 1981. Ils ont résisté, ils mettaient le discours de vérité au-dessus de tout. Pour rien au monde ils ne voulaient se fondre dans le troupeau.»

Marge. Une culture de la minorité qui explique en grande partie le parcours politique de Valls. Mais à la différence d'autres rocardiens comme Olivier Faure ou de Benoît Hamon, «il n'a jamais été vraiment jeune : il a tout de suite fait de la politique avec les grands», explique un dirigeant du PS. A quarante ans de distance, le mentor et le protégé se rejoignent sur leur parcours en marge de l'orthodoxie socialiste, leur approche réaliste de l'action publique loin des revendications-catalogues, la volonté de «parler vrai». «Le nouvel espoir viendra si les Français constatent que l'action et le discours se sont réconciliés», explique Rocard en 1988 devant l'Assemblée pour défendre la création du RMI.

A l'époque, le Premier ministre de François Mitterrand veut «briser les rigidités de l'Etat providence», parle (déjà) d'instaurer un service minimum dans les transports publics, refuse de créer des «abonnés de l'assistanat». Retiré de la vie politique active en 2009, Michel Rocard ne manquait jamais une occasion de taper la «gauche la plus archaïque d'Europe». Comme un lointain écho des deux gauches «irréconciliables» formulé par Valls début 2016.

Antipodes. Mais entendre que Valls serait «le Rocard d'aujourd'hui» hérisse pas mal d'anciens collaborateurs du second. «Il y a une filiation, confirme la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine. Mais ils n'ont pas la même vision du monde, de l'Histoire et du socialisme.» Rocard, qui a veillé à toujours prendre sa carte du PS, faisait le voyage de La Rochelle tous les ans quand sa santé le lui permettait. Il a aussi demandé qu'un hommage posthume lui soit rendu dans la cour de Solférino. Même si son diagnostic sur le PS était alarmiste, il n'a jamais pensé que le socialisme était mort et n'approuvait pas le vœu de Valls de changer le nom du parti. Loin du ni droite ni gauche, le «dépassement» du PS de Rocard ne penchait pas à l'origine vers le centre (lire page 11) mais vers des écologistes et communistes «responsables».

C'est avec le choix d'un triptyque «autorité, sécurité, identité» que Valls s'éloigne le plus de son père politique. Il s'inspire là plus de Clemenceau et Chevènement. Sur les questions du voile et d'immigration, les deux hommes apparaissaient même ces derniers mois aux antipodes. A l'époque de l'affaire du foulard des lycéennes de Creil en 1989, Rocard, chef du gouvernement, défend la laïcité mais se prononce contre l'exclusion des jeunes filles. Vingt ans plus tard, c'est Valls qui s'aventure sur le terrain d'une interdiction du voile à l'université. S'il a amorcé l'aggiornamento socialiste sur l'immigration - le FN enregistre ses premiers vrais succès entre 1986 et 1988 - dans les années 90, Rocard fustigeait les atermoiements de l'Europe face aux migrants comme «un luxe de pays aisés» et reconnaissait à Angela Merkel un «vrai courage» dans sa gestion de la crise. Très loin des critiques de Valls, refusant l'arrivée de nouveaux réfugiés. Au nom du «réalisme».