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Libération
Éditorial

L’UE «fasciste» ? Le FN perd le sens des mots

Publié le 05/07/2016 à 19h21

Savez-vous ce qu'est le fascisme ? Si oui, dites-en un mot à Eric Domard. Inconnu du grand public, l'homme est tout de même «conseiller spécial» de Marine Le Pen et grand utilisateur de Twitter. Entre deux invectives antijournalistes, Domard y développe avec frénésie ce point de vue original : l'Union européenne serait un régime «fasciste», au plein sens du terme. Disant cela, le conseiller ne fait d'ailleurs que suivre Marine Le Pen. Celle-ci qualifie régulièrement l'UE de «totalitaire» ou la compare à l'Union soviétique. Procédé efficace lorsqu'il est bien employé, la rétorsion lexicale consiste à renvoyer à l'adversaire un reproche qu'il vous fait. Et comme on lui en fait beaucoup, le FN l'utilise volontiers : ses adversaires, et non lui, seraient sectaires et antirépublicains, belliqueux et incompétents. Si ce n'est pas toujours très fin, cela reste de bonne guerre.

Mais parler de «fascisme» et de «totalitarisme», au mépris de toute définition sérieuse de ces termes, c'est basculer dans une outrance aussi inquiétante que superflue. Car il est non seulement possible, mais aussi tout à fait légitime, d'évoquer le déficit démocratique de l'UE, sans pour autant assimiler celle-ci aux plus meurtriers régimes du XXe siècle. Tout se passe comme si, la plupart des partis se livrant aujourd'hui à une telle critique, le FN se sentait tenu à la surenchère verbale pour marquer sa différence. Quitte à pratiquer exactement ce qu'il reprochait autrefois à ses adversaires : une invocation hystérisée du «fascisme» visant à délégitimer ses contradicteurs. On est loin, encore une fois, de cet «apaisement» que Marine Le Pen prétend apporter à la société, sans paraître désireuse de l'incarner elle-même. Mais au fond, le peut-elle sans trahir le «style frontiste», cette charge transgressive qui a toujours fait office de carburant pour le FN ?

Non que le Front national soit le seul utilisateur de ce registre : le sénateur LR François Baroin nous l’a rappelé en comparant la France de 2016 à la Corée du Nord. A ces adultes diplômés, à ces aspirants dirigeants, il faut donc rappeler que le totalitarisme authentique assassine et emprisonne, ouvre des camps, interdit toute opposition, ne vit que par la guerre ou sa préparation. Peut-être faut-il aussi préciser qu’il ne vous tient pas la porte lorsque vous votez pour le quitter, comme viennent de le faire les Britanniques. On peut penser et même dire beaucoup de mal du gouvernement ou de l’Union européenne. Mais sous un véritable régime totalitaire, les Baroin et les Le Pen ne seraient pas si tranquilles au moment d’asséner leurs scandaleuses comparaisons.