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Brexit

Les Britanniques de Chamonix inquiets de voir leur pouvoir d’achat dévisser

Bien ancrés sur leur terre d’adoption, des milliers d’expatriés en Haute-Savoie craignent que le Brexit affecte leur quotidien. Certains envisagent de changer de nationalité.

A Chamonix (Haute-Savoie), le 27 juin. (Photo Pascal Tournaire pour Libération)
ParFrançois Carrel
Envoyé spécial à Chamonix
Publié le 06/07/2016 à 19h11

«Le matin même de l'annonce des résultats du référendum, je suis allée à la mairie chercher les formulaires de naturalisation française. Ils sont là, sur mon bureau…» Pour Oonagh Mackenzie, Ecossaise cogérante de l'agence immobilière Mountain Base à Chamonix, le choc du vote pour la sortie du Royaume-Uni de l'UE est immense. Elle vit depuis six ans près de Chamonix, avec ses deux enfants et son mari anglais : «Il gère une société de tourisme d'affaires à la clientèle presque exclusivement britannique qui fait vivre dix personnes. Il dort très mal depuis dix jours.» Toutes les certitudes d'Oonagh Mackenzie sont ébranlées : «Farouche opposante jusqu'ici à la sortie de l'Ecosse du Royaume, je me demande aujourd'hui : et si finalement c'était une issue ?»

La vallée de Chamonix regroupe de 1 500 à 3 000 Britanniques, selon les estimations, sur 16 000 résidents permanents. Tous sont profondément troublés : inquiétudes sur leur statut d'expatrié, incertitudes économiques et chute de la livre entraînées par la perspective d'un Brexit, malaise face à une nation britannique dans laquelle ils ne se reconnaissent plus, douleur face au vote leave de membres de leurs familles… Martin Hodgson, patron d'un pub british de la rue principale de Chamonix, lève le ton : «Sur mon passeport, il est marqué "Union européenne". Je suis citoyen européen et je le resterai. Je vais demander la nationalité française.» En terrasse du pub, peuplée d'une clientèle majoritairement britannique, Colin Smith, 37 ans, Anglais installé à Chamonix depuis six mois avec sa femme, elle aussi expatriée depuis des années, fulmine : «Je vais demander un passeport irlandais, donc rien ne va changer pour nous… Mais quelque chose est brisé. Nombre de mes amis ont voté pour la sortie, juste pour des questions d'immigration. Quel point de vue étroit ! Ce vote est une erreur massive.»

«Terrifiée»

Dans un autre pub, situé rue des Moulins, le plus anglais des quartiers de Chamonix, Alison Maher, Galloise de 33 ans, femme de ménage puis arboriste depuis trois ans dans la vallée, s'avoue «terrifiée» : «Je me suis renseignée dès le jour des résultats pour savoir comment je pourrais rester ici. On m'a dit que je devais travailler encore deux ans pour avoir un permis de résidence. J'espère que le Brexit prendra au moins ce temps-là.» Son ami Brian Kieran, Irlandais de 30 ans, grimace, tout en colère froide : «Je travaille ici pour une société anglaise, je suis payé en livres sterling. J'ai perdu 10 % de mon pouvoir d'achat depuis le référendum.»

Guide de haute montagne anglais, Andy Perkins, 55 ans, dont vingt-cinq passés dans la vallée, s'avoue «déprimé et un peu inquiet». Sa clientèle est à 95 % britannique : «J'attendais début juillet un client qui travaille à la City, à Londres. Il a bien sûr annulé ses congés. La semaine dernière, un club anglais pour lequel je devais organiser un stage a annulé, face à l'augmentation pour eux de mes tarifs qui sont en euros… Et ils ont pris un guide basé en Angleterre.» Andy Perkins s'interroge pour son statut : «Je suis chez moi en France, j'y paye mes impôts, je veux y passer ma retraite ! J'avais récupéré les papiers de naturalisation dès l'annonce du référendum par Cameron… Sauf que, selon mes informations, le processus prend de trois à quatre ans !» Marcus Saw, directeur anglais de Chamonix Valley Transfers, société de transport touristique, Chamoniard depuis cinq ans, se refuse pour sa part à envisager le pire : «Bien sûr, une sortie de l'UE serait compliquée pour moi : ma société est de droit anglais, avec cinq salariés, tous britanniques. Mais je n'y crois pas. Il n'y a pas de plan de sortie. Rien ne va changer», assure-t-il.

«Naturalisation»

Peter Vainer, 47 ans, est le patron de Chamonix Ten80, société française de gestion de résidences touristiques de la vallée qui fait vivre quatre salariés, vingt sous-traitants, une quinzaine d'indépendants, dont au total un tiers de Britanniques : «Le processus va être long, nul ne sait ce qui va se passer. Mais je sais qu'il est très compliqué d'employer un travailleur extra-européen : nous avons ainsi dû récemment renoncer à embaucher un Sud-Africain parfait ! Le départ de nos collaborateurs anglais, tous de qualité, serait une énorme perte.» Marié à une Française, il demandera sans hésiter la nationalité française. Il prévoit en revanche une baisse mécanique de son chiffre d'affaires liée à la chute de la livre : la moitié de sa clientèle est britannique. Il ressent surtout «un immense sentiment de tristesse. Nous avons "planté" nos amis européens, après soixante ans de paix. Mes parents, tchèques, se sont réfugiés en Angleterre pendant la guerre. La tradition anglaise d'ouverture et d'accueil que j'ai tant aimée s'est perdue. Ce vote est une marque de honte sur la nation britannique».