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Interview

Loi travail : Amnesty scrute la manif

Mardi, quatre représentants de l'ONG étaient présents dans le cortège anti loi travail pour observer son déroulement. Une première.
Mardi 5 juillet, contrôles de police avant le départ de la manifestation contre la loi travail. (Photo Martin Colombet pour Libération)
publié le 6 juillet 2016 à 16h16

Pour la première fois en France, des observateurs de l’ONG Amnesty International étaient présents dans une manifestation. Celle du mardi 5 juillet, organisée par l’intersyndicale opposée à la loi travail, à Paris. Leur but : observer le déroulement du rassemblement, le comportement des forces de l’ordre et les éventuelles violences pouvant émailler le cortège. Avec près de 7 500 militants réunis, selon les autorités, et 45 000 selon les syndicats, cette dernière manifestation avant l’été s’est déroulée sans incident. Mais, mardi, nombre de manifestants dénonçaient les difficultés d’accès au cortège. Dominique Curis, chargée de plaidoyer pour le programme libertés d’Amnesty International France, revient sur le dispositif inédit mis en place par l’ONG à cette occasion.

Pourquoi avez-vous décidé d’être présents à la manif du 5 juillet?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons de près à la question des libertés en France, et notamment à la liberté de manifester mise à mal depuis le mois de novembre. Cela a été le cas à l’occasion de la Cop 21, puis plus récemment, dans le cadre de la contestation de la loi travail, avec l’interdiction d’un rassemblement ou encore les interdictions individuelles reçues par certains manifestants. Nous avons par ailleurs été alertés sur des situations relatives à des interventions des forces de l’ordre ou de violences policières. Nous sentions un climat remettant en cause la légitimité du droit de manifester. C’était donc important de s’y pencher, d’où ce dispositif d’observation. Cela rentre pleinement dans notre mission de protection des libertés d’expression et c’est important pour notre travail d’analyse indépendante et impartiale.

Avez-vous l’habitude de mettre en place de tels dispositifs ?

Nous avons déjà mené des missions quasi similaires, par exemple lors des manifestations de Ferguson, aux Etats-Unis, lors des grands rassemblements sur la place Taksim, en Turquie, ou encore à Hongkong, et lors de marches des fiertés en Europe de l’Est. Ce n’est donc pas quelque chose de nouveau. Mais c’est la première fois qu’Amnesty observe une manifestation en France.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons informé la préfecture de notre présence en tant qu’observateurs d’Amnesty, identifiables comme tel. Nous étions quatre observateurs, présents dès le départ du cortège, et jusqu’à 23 heures, place de la Concorde, près de l’Assemblée nationale où des manifestants ont été retenus dans une nasse lors d’un rassemblement. L’idée était d’interagir avec les différents acteurs, d’observer et de prendre éventuellement des notes. Nous avons posé des questions, pris des contacts. Les gens venaient assez spontanément vers nous pour nous parler. Nous avons aussi pris des photos, sans que ce soit toutefois l’essentiel de notre mission.

Qu’avez-vous observé ?

Il est trop tôt pour communiquer sur notre observation ou notre analyse. Nous devons recouper nos informations entre collègues, mais aussi avec notre équipe de spécialistes juridiques. Par ailleurs, cette mission rentre dans le cadre d’un travail que nous menons en lien avec les autorités. Cela consiste à leur rappeler leurs obligations et leurs engagements en termes de garanties et de protections des libertés. Nous devons d’ailleurs rencontrer la préfecture dans les jours qui viennent.

Quand une manifestation, comme celle de mardi, est ainsi encadrée, avec refus des forces de l’ordre de laisser les manifestants accéder au cortège le long du parcours, peut-on parler d’une restriction de la liberté à manifester ?

Oui, il y a restriction. Mais la question est de savoir pour quel motif ce dispositif est mis en place et s’il est proportionné. Restreindre la liberté de manifester peut être justifié et acceptable, par rapport à un risque éventuel ou à la capacité des forces de l’ordre d’assurer la sécurité de tous. Mais je comprends que certains en doutent et qu’ils pensent que tout cela crée un climat non favorable à la liberté de manifester. Plus généralement, l’état d’urgence a alimenté un climat qui fait peser la suspicion sur des moyens d’expression, que ce soit celle de la liberté religieuse ou des opinions syndicales. Et depuis le mois de novembre, l’état d’urgence a permis de justifier des restrictions à la liberté de manifester qui, dans plusieurs cas, ont paru disproportionnées.